Henri Habrias
" Le problème que pose les universaux et les
particuliers, ainsi que la question étroitement apparentée des noms propres,
(…) sont anciens, en fait au moins aussi anciens qu’Aristote. Ils ont fait l’objet d’une grande partie des
spéculations des scolastiques du Moyen Age, dont l’œuvre sous ce rapport mérite
encore respect. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, les divergences relatives à la
nature psychologique et métaphysique des universaux figuraient parmi les controverses
les plus importantes entre philosophes du continent et empiristes anglais.
" B. Russell, Histoire de mes idées philosophiques, Tel Gallimard, p.194
" Un couteau sans lame auquel il manque le
manche" Georg-Christoph Lichtenberg, Aphorismes
"Si l’on examine un cochon d’Inde, on
s’aperçoit avec stupeur que ce n’est pas un cochon et qu’il n’est pas d’Inde.
Seul le “D’” est authentique.", Cavana cité par Roland Moreno in La
théorie du bordel ambiant (Belfond)
« … Il faut être bête comme l'homme l'est si souvent
Pour dire des choses aussi bête que
Bête comme ses pieds, gai comme un pinson.
Mais le pinson n'est pas gai !
Il est seulement gai quand il est gai,
et triste quand il est triste.
Ou ni gai ni triste.
Est-ce qu'on sait ce qu'est un pinson ?
D'ailleurs, il ne s'appelle pas réellement comme ça,
C'est l'homme qui a appelé cet oiseau comme ça.
Pin-son. »
J. Prévert, cité par Roland Moreno dans "Théorie du Bordel
Ambiant", Pierre Belfond, 1990
Commençons par cette citation de
Alain de Libera :
" Revenons à une situation
décrite par Spade : j’ai devant moi deux stylos à bille noirs. Le point crucial
est : combien de couleurs vois-je ? Deux réponses s’offrent. La première : je
vois une seule couleur – la noirceur (blackness) qui est " simultanément
partagée par les deux stylos ou commune aux deux " -, une seule et même
couleur donc, bien qu’inhérente à deux choses distinctes et présente en même
temps en deux endroits différents. Cette position, ce que Spade appelle "
croire aux universaux ", est le réalisme : admettre que des " entités
universelles " comme la noirceur sont partagées par toutes les choses qui
présentent une même propriété (ici, être noires) et qu’à ce titre elles leur
sont communes. A l’opposé, évidemment, le nominalisme est caractérisé comme
celui qui voit deux noirceurs, autant de noirceurs que de stylos. Deux
noirceurs qui sont " semblables ", certes, mais qu’ " il suffit
de regarder pour voir qu’elles ne sont pas et n’en restent pas moins deux
noirceurs ". Ainsi illustré, le problème des universaux est simple :
y-a-t-il ou non deux couleurs dans les stylos de P.V. Spade ? " Le
réalisme et le nominalisme sont les deux principales réponses à cette question.
" (…) " le réaliste est celui, qui voyant la noirceur partout où il y
a des choses noires, en conclut qu’il y a en chacune la même " entité
universelle ". Alain de Libera in La querelle des universaux, Seuil, 1996,
p. 18-19
La querelle des universaux date
du Moyen Age. Mais elle a intéressé les logiciens comme B. Russell. Elle doit
intéresser ceux qui aujourd'hui sont amenés à construire des abstractions pour
faire faire des traitements d'information (nous éviterons d'utiliser le terme
"connaissances") par des machines.
Les citations que nous donnons en
annexe posent le problème des universaux. Nous ne ferons pas plus de
développement sur ce sujet et renvoyons à quelques textes.
1 ─ Ce que nous enseigne la lecture
philosophique
─ Le point essentiel est celui d'éviter de confondre les noms et les
choses (ou les concepts) ─ "le mot chien ne mord pas"
─ L'abstraction qu'a un informaticien de l'ordinateur est celui d'une
machine qui ne manipule que des noms (des suites de caractères).
Il ne faut pas s'étonner que les
cours d'informatique théorique portent sur la théorie des langages.
L'abstraction qu'a un physicien qui s'intéresse aux mémoires d'ordinateurs est
différente. Il s'intéresse à des phénomènes physiques qui permettront de
stocker les chaînes de caractères sur un support, ou encore à les transmettre.
Il est plutôt éloigné du risque de confondre nom et chose, même si on classe
parfois les physiciens en nominalistes et réalistes. [SAL 95]
Ceux qui font des spécifications
algébriques s'efforcent d'éviter cette confusion. L'exemple bien connu, utilisé
la première année des études universitaires, est celui de la pile. Une
spécification de ce qu'est une pile est faite en termes des opérations qui
peuvent être effectuées sur une pile. Les opérations ont des noms. On ne peut
supposer que ces noms suffisent à spécifier ce que font ces opérations. Même si
on écrit ces noms en anglais au lieu de les écrire en français, un ordinateur même
"anglais" ne comprendra pas ce qui est derrière ce nom (what under a
name ? fait dire W. Shakespeare à Juliette dans la scène du balcon de Roméo et
Juliette). A ce sujet, combien de "dictionnaires de données" sont
inutilisables ! Aussi la signification des opérations (des noms) est donnée par
des axiomes comme : sommet (empiler (el,
pile)) = el. On pourrait prendre n'importe quelle chaîne de caractère pour
nommer les opérations. Par exemple, au lieu de sommet, chose, au lieu de
empiler, strumpfer, au lieu de el, truc, au lieu de pile, machin, soit : chose (strumpfer (truc, machin)) = truc.
─ Il ne faut pas confondre
logique et ontologie (même s'il y a des projets d'ontologie formelle). Nous
allons illustrer le passage de la logique à l'ontologie à travers la notion de
propriété.
Suite à Aristote, le paradigme de
la phrase déclarative a été sujet─copule─prédicat
(le terme copule a été introduit par P. Abélard au XII e. siècle). Par exemple,
Socrate est mortel. De manière
implicite, on a considéré qu'il y avait une bijection entre les éléments de la
phrase déclarative et la "structure de la réalité", de sorte qu'on
puisse dire qu'une phrase est vraie ou non. On en arrive ainsi à considérer que
la réalité est composée de choses qui ont ou n'ont pas des propriétés. ". Il s’agit là, on le voit bien, non plus
d’une remarque concernant le langage, mais d’une thèse " métaphysique
" concernant la structure de ce qui " est " en général. De la
logique, on passe à l’ontologie (= " science " de l’être en général).
(…) On en arrive alors facilement à l’idée qu’il y a ultimement dans la réalité
des substances individuelles qui " ont " des propriétés qu’elles
partagent avec d’autres substances individuelles. (…) c’est là que les
problèmes commencent, problèmes qui ont été au cœur des spéculations
métaphysiques depuis l’Antiquité. " François Schmitz in Wittgenstein,
Les Belles Lettres, 1999, p. 55 et s.
Le lecteur aura sans doute
reconnu le "moderne " modèle "Entités Propriétés". Il est
intéressant de relire des écrits d'il y a une vingtaine d'années où les auteurs
discutaient ─ en ignorant les siècles d'écrits philosophiques sur ce sujet
─ non du sexe des anges mais de la
question de savoir si la Date était
une entité ou une propriété. Malheureusement (?!) cela a coûté fort cher aux
entreprises quand il a fallu "passer à l'an 2000".
Aujourd'hui, pourtant,
l'utilisateur d'un logiciel comme Accès de Microsoft manipule un type prédéfini
DATE. La question n'est plus guère
posée. Mais le modèle "Entités Propriétés" est encore souvent utilisé
dans les "modèles objets".
─ Les limites du modèle d'Aristote, l'invention des ensembles et des
relations
Quand on considère la phrase
"Socrate est un homme", le sujet est un nom propre i.e. mis pour une substance
individuelle. On ne peut écrire "Jules est Socrate". Socrate ne peut
prendre la place d'un prédicat (la place d'une propriété).
Mais il existe d'autres phrases
comme "Le professeur est un enseignant", "L'enseignant est une
personne". On peut écrire "Jules est un enseignant". Jules est
alors une substance individuelle et enseignant une propriété. Si on applique la
même correspondance à la phrase " L'enseignant est une personne",
alors enseignant désigne une substance individuelle comme Jules désignait une
substance individuelle !
Curieusement la syllogistique
d'Aristote opère sur des phrases du type "Le professeur est un
enseignant", "L'enseignant est une personne" (et l'on peut
représenter le syllogisme avec des diagrammes de Venn). Pourtant Aristote n'a
pas distingué radicalement entre les phrases de la forme "Socrate est un
homme" et " L'enseignant est une personne". Il a été conduit à
dire que Socrate était une
"substance première" et "homme", "enseignant",
"personne" des substances secondes.
Il a fallu attendre des siècles
pour qu'apparaissent les ensembles et les relations et de dégager du modèle
d'Aristote et des discussions métaphysiques. Le mot "propriété" est
absent de l'index de Bourbaki et en général des livres de mathématiques. S'il
est utilisé il l'est comme synonyme d'axiome.
Revenons à Roméo et Juliette [DOW
95] Considérons la phrase "Roméo aime Juliette". Selon le modèle
d'Aristote, elle est analysée en un sujet (Roméo) et une propriété (aimer
Juliette). Roméo a la propriété "aimer Juliette". La copule dans nos
précédents exemples était le verbe être, ici c'est le verbe avoir. Dans les
deux cas, il s'agit d'auxiliaires qui ne sont pas "porteurs
d'information" (selon l'expression des ouvrages sur la modélisation de
bases de données).
Il faut attendre Gottlob Frege
(mort en 1925) pour que les relations soient prises en compte par les
logiciens. On analysera alors la phrase "Roméo aime Juliette" comme
étant une relation. En termes ensemblistes, on considérera, par exemple, que le
couple Roméo |─> Juliette est un
élément de la relation aime qui a
pour ensemble de départ l'ensemble des
personnes et pour ensemble d'arrivée l'ensemble
des personnes.
2 ─ Utiliser la théorie des
ensembles pour spécifier
2.1. ─ Pourquoi ?
Le spécifieur confronté à un discours a tendance à faire
une modélisation qu'il considère comme la bonne. Normal, il serait curieux
qu'il choisisse sciemment de faire une mauvaise modélisation ! Il interprète le
discours et le met "en forme" (il formalise).
Dans ce qui suit, on considère un
spécifieur qui utilise la théorie des ensembles typés qui est à la base de la
méthode B.
Il rédige un "modèle
mathématique" qui est un invariant dépourvu de contradictions et tente
d'exprimer les opérations du système comme des opérations changeant l'état de
ce système dont il a donné l'invariant. S'il n'y arrive pas, il peut se dire
qu'il n'a pas compris ce que lui a dit son interlocuteur ou que son modèle
mathématique n'est pas un bon modèle (dans le sens de Minsky : un objet 0 est
un modèle M d'une réalité R si M permet de répondre aux questions que l'on se
pose sur R. Ici M ne permet pas d'effectuer des opérations répondant aux
demandes de l'interlocuteur). Mais il y a grand risque que le spécifieur
construise un système formel cohérent, tout en ne répondant pas à la demande
("mal")exprimée.
D'aucuns diront que c'est un rêve
de croire que le formel puisse répondre à une demande par nature informelle.
D'où le succès des méthodes et notations semi-formelles (alors qu'il s'agit de
construire un système formel). Les ingénieurs qui conçoivent des avions, des
ponts, des centrales nucléaires, etc. font du calcul formel. Et ça marche ! La
"réalité physique" est là pour les rappeler à l'ordre. Dans ces
domaines d'application, les ingénieurs utilisent des concepts scientifiques,
des lois physiques. Il faut éventuellement des essais physiques, des mesures
(et la mesure ne peut se faire sans théorie sous-jacente). Dans d'autres
domaines ─ comme celui souvent appelé "systèmes d'information"─ nous ne disposons pas du concept scientifique
d'étudiant, de table, de chômeur, de facture, de livre, etc.
Grand est le risque de construire
un système formel (et il doit être formel puisque le processeur sera une
machine et non un humain) qui, bien que respectant les spécifications, ne
satisfasse pas le demandeur.
Le propre de la démarche
scientifique est d'éviter l'évidence, d'éviter de faire de la métaphysique non
explicitée. La théorie des ensembles nous permet de quitter la métaphysique.
Le spécifieur doit envisager les
différentes abstractions possibles dans la limite du discours du demandeur,
tout en sachant qu'il faudra peut-être élargir ce discours comme l'ingénieur
peut demander à ce que des études d'impact d'une construction soient lancées.
C'est au spécifieur à faire
émerger la "structure profonde" du discours du demandeur. Le
spécifieur ne peut attendre d'un "Cahier des charges" qu'il donne
cette "structure profonde". Rien n'est donné, tout est construit a
dit le philosophe. Et il ne s'agit pas d'un travail qui peut être automatisé.
2.2. ─ L'exemple des deux stylos
Nous allons prendre l'exemple des
deux stylos cité en début de cet article. Nous allons utiliser seulement le
concept d'ensemble et de relation. Nous éviterons de parler de propriété.
Nous conserverons cet exemple,
même si le fait que l'on parle de couleur pose problème, du fait de la
définition donnée par le physicien de ce qu'est la couleur. Que les
scientifiques veuillent bien accepter cette abstraction.
Voici quelques abstractions.
Aucune n'est meilleure que
l'autre dans l'absolu. Nous ne cherchons pas à atteindre l'essence des choses
et leurs propriétés. Nous ne nous posons pas des questions existentielles. Pour
ceux qui veulent utiliser le verbe "être", comme Quine, nous considérons
que "être est être la valeur d'une variable". Ou encore, suivant en
cela l'adage du droit "Idem non esse et non probari" (Ne pas être ou
ne pas être prouvé, c'est tout un"
[Roland ]), nous ne nous poserons pas la question "est-ce que cela
est ?", mais plutôt, "nous considérons l'ensemble TRUC" (ce qui
est certes souvent écrit dans les livres de mathématiques "Soit l'ensemble
TRUC". Mais nous nous demanderons "est-ce que tel prédicat est prouvé
?" en évitant d'utiliser le terme "vérité" (un terme que l'on ne
trouve d'ailleurs pas dans les index des codes du droit français).
Remarquons qu'avec la méthode B,
dont nous allons utiliser la notation ensembliste, quand il s'agit d'énoncer
qu'un ensemble de base est un ensemble fini, on se sert de l'ensemble des
entiers dont le mathématicien allemand Kronecker disait que c'était le seul
objet mathématique dont on dispose, tous les autres étant construits. Ainsi,
l'Atelier B, re-écrit SETS ETUDIANT en ETUDIANT : FIN (NAT) & ETUDIANT /= {}
Mais nous pensons qu'en
considérant les ensembles de base (SETS), nous pouvons aider le client à
expliciter sa demande et que nous avons des chances d'avoir dégagé la structure
profonde de son discours avec l'une de ces abstractions. Si ce n'est pas le
cas, nous pourrons envisager de nouveaux ensembles de base (SETS).
Nous avons utilisé la notation
ASCII de la méthode B (laquelle utilise aussi, bien sûr, la notation
mathématique habituelle que l'on ne trouve pas sur toutes les machines)
: dénote l'appartenance
ensembliste
<:: d="" ensembliste="" inclusion="" l="" note="" o:p="">
|─> dénote un couple (maplet)
i.e. un élément d'un produit cartésien
* dénote le produit cartésien
~ dénote l'inverse (on dit aussi
la converse ou encore la réciproque) d'une relation.
= est le prédicat d'égalité
/\ dénote l'intersection
& dénote le et logique
[
] dénote une suite
iseq (TRUC) dénote l'ensemble des
suites injectives que l'on peut construire avec les éléments de TRUC
Les SETS sont des "ensembles
de base". Ce sont des ensembles d'individus, i.e. qu'un élément d'un SET n'est ni un couple, ni un ensemble. On
n'a pas le droit d'écrire, si PENCIL et COLOR ont été déclarés comme des SETS,
des énoncés tels que : PENCIL /\ COLOR = {}. Un tel énoncé serait mal typé.
Voici donc différentes spécifications (abstractions) .
Nous commentons entre /* */ la
spécification formelle.
Spécification 1.
SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1, p2} /* on a deux éléments de
l'ensemble stylos */
colors ={c1, c2} /* on a deux éléments de
l'ensemble couleurs. Sans doute, le lecteur comme le spécifieur, ne pensera pas
à cette abstraction. Or, pourquoi distinguer deux stylos et ne considérer
qu'une seule couleur ? Dans l'entreprise qui fournit ces stylos, il n'y a en
l'occurrence qu'un stylo (d'ailleurs on trouve la même référence écrite deux
fois, ref. : 1791). Quand l'IUT de Nantes a commandé, il n'a pu faire référence
à p1 et à p2, mais seulement à cette référence qu'il a commandée en 100
exemplaires. */
colorOf= {p1|─> c1, p2 |─> c2}
sameColorAs = {c1|─> c2} /* cette relation qui n'a ici
qu'un seul élément (un seul couple), nous dit que les couleurs c1 et c2 sont
les deux mêmes couleurs */
sameColorAs = sameColorAs~ /* si c1 est de même couleur que c2, c2
est de même couleur que c1 */
samePencilAs = {p1|─> p2} /* p1 et p2 sont les mêmes stylos. A
noter que pour dire cela, il faut que p1 et p2 soient deux éléments… on ne voit
pas l'intérêt de spécifier que p1 est le même que p1 ! On ne travaille que sur
des noms ! */
samePencilAs = samePencilAs~
Spécification 2
SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" span="">
pencils = {p1} /* nous n'avons qu'un
seul stylo. On va spécifier plus loin que nous en avons 2 exemplaires. Mais
aucune information dans notre abstraction ne permet de distinguer entre ces
deux exemplaires. Ils sont anonymes. L'informaticien mettant en œuvre la loi
"Informatique, Fichiers et Liberté" dirait que nous ne traitons pas
d'"information nominative ". */
colors ={c1} /*
nous n'avons qu'une seule couleur */
colorOf= {p1|─> c1}
nbOfPencils = { p1|─> 2} /*
nous avons deux stylos p1, deux exemplaires du stylos p1, deux occurrences du
stylo p1 */
Spécification 3
SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1}
colors ={c1}
myPencils = iseq (pencils) /*
nous avons une suite injective de stylos. Une suite comme [p1, p1] ne serait
pas injective car on y a écrit deux fois p1. Nous pouvons distinguer tel stylo
de tel stylo comme on distingue Bush junior de Bush senior (i.e. par leur place dans l'arbre
généalogique. Dans la spécification précédente, nous ne pouvions distinguer un
stylo d'un autre, dans cette spécification, nous le pouvons. C'est comme dire,
prenez le stylo que j'ai dans ma main droite. */
myPencils = [p1, p1]
colorOf= {p1|─> c1}
Spécification 4
SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1, p2} /* Voici la
spécification que rédigeront sans doute la plupart des spécifieurs. Et
pourtant, c'est une des spécifications qui ne convient sans doute à aucune
entreprise ! */
colors ={c1}
colorOf= {p1|─> c1, p2 |─> c1}
samePencilAs = {p1|─> p2}
samePencilAs = samePencilAs~
Spécification 5
SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1}
colors ={c1, c2}
colorOf= {p1|─> c1, p1 |─> c2} /* Oui, pourquoi pas ? vous me
direz que je pousse le bouchon un peu loin. C'est que vous "connaissez
bien les stylos et les couleurs" ! mais qu'en serait-il si il s'agissait
d'un domaine inconnu pour vous ? Aux universitaires, je peux proposer de
prendre le domaine du fameux logiciel "Nabuco" */
sameColorAs = {c1|─> c2}
sameColorAs = sameColorAs~
Spécification 6
On peut considérer que les deux
stylos sont un produit vendu par l'entreprise dont on spécifie le système
d'information. Il n'est pas possible d'acheter moins que le "pack" de
"deux stylos" et le "pack" est un pack de stylos noirs.
SETS
PRODUCT; COLOR
produits <: o:p="" produit="">
produits = {p1}
colors <: color="" o:p="">
colors = {c1}
comprendUnNombreDeStylosEgalA : {p1
|─> 2}
colorOf= {p1|─> c1}
Spécification 7
On peut considérer que l'on a un
ensemble de composants.
SETS
COMPOSANT; COLOR
composants <: composant="" o:p="">
composants = {p1, p2, p3}
estComposéDe : composants <──>
composants
estComposéDe = {p1 |─> p2, p1 |─>
p3}
produits <: amp="" composants="" e="" estcompos="" produits="" ran="" span="">
/* les produits ne composent pas un composant */
nbOfProducts = { p1|─> 2} /*
à ne pas confondre avec le cardinal de produits (qui est ici égal à 1) */
Les éléments de nos ensembles sont-ils des concepts ou des
noms ? Il doit être clair que ce ne sont que des chaînes de caractères. Ces
chaînes peuvent pour nous désigner des concepts. Pour cela, il faut qu'il y ait
bijection entre l'ensemble des chaînes et des concepts (cette bijection ne se
trouvant pas dans la spécification !).
3 ─ Les noms et les concepts
On peut vouloir spécifier la
relation entre concepts et noms (les mots, les chaînes de caractères). Ce peut
être fait en considérant un SET NOM. Mais, il faut bien se rendre compte que
les ensembles PENCIL, COLOR et NOM sont formellement des ensembles de chaînes
de caractères. Comme l'a dit Beckett "Que voulez-vous, Monsieur, les mots,
on n'a rien d'autre" et comme l'a dit J.J. Rousseau " Les définitions
seraient de bonnes choses si on n'utilisait pas des mots pour les faire."
Considérons le modèle
"relationnel n-aire de Codd".
Soit le schéma relationnel
Stylos (marque, refStylo,
désignation, couleurStylo, NombreEnStock)
Dans les écrits sur le "modèle objet", le fait
que la "clé" soit composée de "propriétés" a été critiqué.
En effet, il a été écrit que si un stylo change de marque ou de référence, on
aura perdu son identité…alors qu'avec le "modèle objet" on dispose du
concept d' "identité d'objet". Dans un tel modèle, on peut avoir deux
égalités, une qui porte sur les identifiants d'objets, une autre qui porte sur
les propriétés.
Ainsi, nous pourrions écrire que
telle ville s'est appelé Saint-Pétersbourg, puis Léningrad et enfin
Saint-Pétersbourg. "Telle ville" aurait un identifiant d'objet qui
lui ne changerait pas.
Remarquons que les variables
prennent des valeurs et que, comme leur nom l'indique, les variables peuvent
changer de valeur, mais une valeur ne change pas de valeur.
Il ne faut pas retomber dans les
questions de substances premières ou secondes introduites par Aristote ! "
Rien dans le système formel ne peut garantir que "telle ville" même
représentée par un identifiant d'objet de valeur 2134, ne change pas de
représentant d'objet ! Le couple "telle ville" |─> 2134 est hors
du formel.
Remarquons de plus que la valeur
de l'identifiant d'objet ne fait pas partie du vocabulaire de l'utilisateur du
logiciel. Aussi, si un utilisateur veut accéder à un objet logiciel, il ne peut
le faire que par des noms qui ont un sens pour lui et qu'il utilise comme
identifiant des objets qu'il manipule (physiquement ou dans son intellect). Ce
qu'il faut se demander c'est comment, dans la langue, l'utilisateur désigne un
type d'objet. Ce dont il ne peut parler, à quoi bon en parler !
Et, le modèle relationnel
"n-aire' n'empêche pas les stylos de changer d'identifiant. Plus
précisément, il s'agira d'enregistrer que la ville nommée Léningrad s'appelle
maintenant Saint-Pétersbourg, c'est-à-dire maintenir une relation "La
ville nommée …… est la même que la ville nommée …..", même chose pour nos
stylos. Les relations ne sont faites que de valeurs.
Prenons la spécification 4)
SETS
PENCIL; COLOR; NAME
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1, p2}
pencilsNames : pencils >─> NAME
/* pencilsNames est une variable
qui prend comme valeur un élément de l'ensemble des fonctions surjectives
totales de pencils vers NAME. I.e. tout élément de pencils est relié à un et un seul élément de NAME et un élément de NAME
est relié au plus à un élément et un seul de pencils. */
colorsNames : colors >─> NAME
colors ={c1}
pencilsNames = {p1 |─> uniball, p2
|─> roller}
colorsNames = {c1 |─> black}
colorOf= {p1|─> c1, p2 |─> c1}
samePencilAs = {p1|─> p2}
samePencilAs = samePencilAs~
On peut se demander ce qui
identifie les noms eux-mêmes. Les noms identifient eux-mêmes. Dans notre
exemple, p1, p2, c1 ne font pas
partie du vocabulaire de l'utilisateur., les éléments de NAME, eux en font partie. Les noms des variables doivent avoir une
signification qui est explicitée formellement par les concepts de mathématiques
(ensemble, fonctions, appartenance, etc.)
En ce qui concerne le nom des variables, il n'a aucune
importance en ce qui concerne le traitement formel. Il a toute l'importance en
ce qui concerne la modélisation. Avons-nous bien interprété le monde se
demandera l'informaticien ? Le monde est-il un modèle (une interprétation) de
notre système formel demandera le logicien ?
Remarque :
Nous ne désirons pas faire du
"réductionnisme logique". Nous ne nous opposons pas à ce qu'écrit
Patrice Enjalbert [Enjalbert 1996] :
" entre "le monde"
et le modèle au sens logique. Il n'est pas du tout évident que le "schéma
ensembliste" soit bien celui de notre cognition. Ne serait-ce que parce
qu'il présuppose des entités, des objets, parfaitement différenciés et
individualisés, ce qui est parfaitement problématique s'il est question de
substances, d'étendue, de milieux continus…De nouveau, la définition d'entités
clairement définies est un critère de pensée scientifique, or le langage est
communément utilisé dans de tout autre cadres. "
Nous ne prétendons pas traiter de
"cognition" et nous avons comme but l'implantation sur une machine
qui manipule le discret.
Conclusion
Annexes
Dans un dialogue publié en 1677,
Leibniz écrit (merci à J.M. Hémion qui m'a communiqué ce texte) :
"A─ Donc tu crois que c'est
dans les choses, non dans les pensées, que se trouvent la vérité et la
fausseté.
B ─ Oui, sans doute.
A ─ Est-ce que c'est une chose
qui est fausse ?
B ─ Non pas une chose, à mon
avis, mais la pensée ou la proposition portant sur la chose.
A ─ Donc la fausseté est une
propriété de nos pensées, non des choses.
B ─ Je suis forcé de l'avouer.
A ─ Donc la vérité aussi,
n'est-ce pas ? (…)
A─ Certains savants pensent que
la vérité naît par décision humaine et qu'elle provient des noms ou des
caractères.
B ─ C'est une opinion très
paradoxale.
C ─ Mais ils en donnent la preuve
suivante : la définition n'est-elle pas le principe de la démonstration ?
B ─ J'en conviens car on peut
démontrer des propositions à partir des seules définitions liées entre elles.
A ─ Donc la vérité de telles
propositions dépend des définitions.
B ─ Je l'accorde.
A ─ Mais les définitions
dépendent de notre décision.
B ─ Pourquoi cela ?
A ─ Ne vois-tu pas qu'il est sous
la décision des Mathématiciens d'utiliser le mot Ellipse, afin qu'il désigne
une certaine figure ? (…)
B ─ Et alors ? Les pensées ne
peuvent se produire sans mots.
A ─ Mais non sans d'autres
signes. Essaie, je te prie, d'effectuer un calcul arithmétique sans signes
numériques (quand Dieu calcule et exerce sa pensée, le monde existe).
B ─ Tu me troubles beaucoup ; je
ne croyais pas, en effet, que les caractères ou les signes fussent si
nécessaires pour raisonner.
A ─ Donc les vérités
mathématiques supposent quelques signes ou caractères.
B ─ Je dois l'avouer.
A ─ Donc elles dépendent de la
décision des hommes. (…)
B ─ (…) bien que les caractères soient
arbitraires, cependant leur usage et leur connexion ont quelque chose qui n'est
pas arbitraire, à savoir une certaine proportion entre les caractères et les
choses, et les relations entre eux des différents caractères exprimant les
mêmes choses. Et cette proportion ou relation est le fondement de la vérité.
"
"Les substances sont réelles
et même, en un certain sens, l'universel est premier par rapport à
l'individuel, d'où le réalisme des universaux (universalia in re et ante rem).
L'Espèce homme, bien
qu'inséparable des individus qui l'incarnent, se reproduit indépendamment de
leur variation individuelle. La substance première est composée de forme et de
matière, elle est radicalement obscure. La prédication accidentelle porte
principalement sur les abstraits. Les accidents ne sont pas séparables en tant
qu'ils sont réels ; ils dépendent pour leur existence de la chose dans laquelle
ils sont. D'où le conceptualisme des universaux (universalia post rem).
L'abstrait est appréhendé immédiatement - en tant qu'il est particulier - dans
les sensations ou dans l'imagination.
Pour Aristote l'attribution de
l'existence (ce que l'on pourra appeler l'engagement ontologique) est liée non
pas à la syntaxe mais à la sémantique. Je puis définir un cercle et utiliser la
prédication essentielle sans reconnaître qu'il existe. Parce qu'elles portent
sur les substances, la physique et la théologie sont ontologiques ; parce
qu'elle porte sur des abstraits, la mathématique ne l'est pas. Il ne peut donc
y avoir de physique mathématique.
L'attribut caractéristique des
substances sensibles, le mouvement, reste en dehors des prises de la méthode
mathématique. Car -acte conjoint d'un moteur et d'un mobile - il est rapporté à
une substance. Thèse classique - Koyré, Gueroult -, c'est en brisant
l'opposition radicale entre substance et abstrait que la science moderne a pu
se constituer.
(...)
Russell a posé le problème de la
nature de l'abstraction mathématique (...) Le mathématicien adaptant une
conception ensembliste de la définition mathématique n'établit aucune
différence entre classer et abstraire, entre l'acte de considérer un élément de
E, ensemble donné, comme appartenant à un sous-ensemble exclusif des autres, sa
classe d'équivalence, dont il est un représentant et qui en est une
généralisation, et l'acte de considérer la propriété abstraite commune à tous
les éléments de E qui appartiennent à la même classe d'équivalence et dont
chacun de ces éléments est le porteur concret.
Chacun des éléments appartenant au même sous-ensemble est lié à un autre
de cette même classe par une relation dite d'équivalence qui possède les
propriétés formelles de réflexivité, symétrie, transitivité. (...)
En insistant sur le caractère abstrait des classes
d'équivalence, Russell pose le problème du réalisme : les abstraits
mathématiques possèdent-ils une existence objective, indépendante de notre
représentation ? Ou au contraire, comme le nominalisme l'indique, ne
présentent-ils qu'une existence nominale et non réelle ?
On sait que pour Aristote les
objets mathématiques sont des abstraits mais par opposition à des substances -
le mathématicien peut faire comme si le cercle ou le carré étaient des
universels existants, il ne peut en inférer que les cercles ou les sphères
existent en dehors des roues ou des boules sensibles. La question se pose pour
les ensembles par exemple.
Il y a deux solutions à ce
problème dit de l'engagement ontologique. La première est celle de Quine :
exister c'est être la valeur d'une variable. (...)
La seconde solution, celle de
Russell, déclare qu'exister abstraitement c'est imposer un ordre et un sens à
des éléments qui ne le comprennent pas en eux-mêmes."
Jean-Jacques Szczeciniarz in
Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences (sous la directeur de
Dominique Lecourt), PUF, 1999
« Cirage
polyglotte. 'Neutral. Incolore. Natur.
Neutro. Natural. Incoloro.' Telle est la … couleur que j'ai vue annoncée
sur une boîte de cirage à vocation européenne. D'après d'autres indices fournis
par l'étiquette, les termes employés sont respectivement anglais, français,
allemand, italien, portugais, espagnol. Quoique les Romains aient mis en garde
contre les propos trop prétentieux ('Cordonnier, pas plus haut que la
chaussure !' disaient-ils) comment résister à la tentation de soutenir, en
y mettant le ton grave et docte qui sied, que cette modeste étiquette sur une
boîte de cirage 'pose tous les problèmes de la traduction' ?
Un Allemand
achetant un cirage de couleur nature se procure-t-il le même produit qu'un
Français achetant un cirage de couleur incolore ? Qu'y-a-t-il de naturel
dans la neutralité, qu'y a-t-il d'incolore dans la nature ? Pourquoi cette
topologie, le portugais, par exemple, se retrouvant d'accord avec l'allemand
pour retenir la notion de nature, et se séparant inexplicablement de sa langue
soeur, l'espagnol ? A défaut de neutralité, admirons au moins la parfaite
symétrie ternaire respectée par le fabricant, chaque notion étant convoquée
exactement deux fois. Comme ces notions existent, je suppose, dans les six
langues, à quelle nécessité répond le fait que telle langue recourt à l'une
plutôt qu'aux deux autres ? en français, on aurait pu aussi bien mettre
'neutre' que 'incolore', mais pas 'nature'. Qu'en est-il des autres langues, et
quelles conclusions en tirer ? Etc., etc.
Que
d'interrogations ! Nous en oublions de faire nos chaussures. Renonçons
donc à toute conclusion, et ouvrons la boîte ; Voilà que nous tombons que
un produit de couleur blanche ! Je l'ai vu, c'est indiscutable, même un
Allemand ne me chercherait pas querelle là-dessus. Pas de doute : dans le
cirage, nous sommes. »
Extrait du Bloc Note de Didier
Nordon dans Pour la Science, N° spécial "Communication, ordinateurs et
réseaux", N°169, nov. 1991
Bibliographie :
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La logique et son histoire, Armand Colin, ISBN: 2-200-01472-4, 1970, 1996
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universaux, De Platon à la fin du Moyen-Age, Des Travaux, Seuil, 1996, ISBN :
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Marie─Noëlle (coordinateurs), Philosophie du langage et informatique, Hermes,
ISBN : 2─86601─530─4
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encyclopédique du génie logiciel, Masson, 1997, ISBN : 2-225-85328-2
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Salaskis, L'objectivité mathématique, Platonismes et structures formelles,
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philosophiques, Tel Gallimard,1661, ISBN :2-07-071474-8
Jean-Michel Salaskis ,
L'objectivité mathématique, Platonismes et structures formelles, sous la
direction de Marco Panza, , Masson, 1995
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Figures du savoir, Les Belles Lettres, 1999
Jean-Jacques Szczeciniarz in
Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences (sous la directeur de
Dominique Lecourt), PUF, 1999
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