mardi 20 janvier 2015

Deux crayons ou deux couleurs ?



Henri Habrias

" Le problème que pose les universaux et les particuliers, ainsi que la question étroitement apparentée des noms propres, (…) sont anciens, en fait au moins aussi anciens qu’Aristote.  Ils ont fait l’objet d’une grande partie des spéculations des scolastiques du Moyen Age, dont l’œuvre sous ce rapport mérite encore respect. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, les divergences relatives à la nature psychologique et métaphysique des universaux figuraient parmi les controverses les plus importantes entre philosophes du continent et empiristes anglais. " B. Russell, Histoire de mes idées philosophiques, Tel Gallimard, p.194

" Un couteau sans lame auquel il manque le manche" Georg-Christoph Lichtenberg, Aphorismes

"Si l’on examine un cochon d’Inde, on s’aperçoit avec stupeur que ce n’est pas un cochon et qu’il n’est pas d’Inde. Seul le “D’” est authentique.", Cavana cité par Roland Moreno in La théorie du bordel ambiant (Belfond)

« … Il faut être bête comme l'homme l'est si souvent
Pour dire des choses aussi bête que
Bête comme ses pieds, gai comme un pinson.
Mais le pinson n'est pas gai !
Il est seulement gai quand il est gai,
et triste quand il est triste.
Ou ni gai ni triste.
Est-ce qu'on sait ce qu'est un pinson ?
D'ailleurs, il ne s'appelle pas réellement comme ça,
C'est l'homme qui a appelé cet oiseau comme ça.
Pin-son. »
J. Prévert, cité par Roland Moreno dans "Théorie du Bordel Ambiant", Pierre Belfond, 1990




Commençons par cette citation de Alain de Libera :

" Revenons à une situation décrite par Spade : j’ai devant moi deux stylos à bille noirs. Le point crucial est : combien de couleurs vois-je ? Deux réponses s’offrent. La première : je vois une seule couleur – la noirceur (blackness) qui est " simultanément partagée par les deux stylos ou commune aux deux " -, une seule et même couleur donc, bien qu’inhérente à deux choses distinctes et présente en même temps en deux endroits différents. Cette position, ce que Spade appelle " croire aux universaux ", est le réalisme : admettre que des " entités universelles " comme la noirceur sont partagées par toutes les choses qui présentent une même propriété (ici, être noires) et qu’à ce titre elles leur sont communes. A l’opposé, évidemment, le nominalisme est caractérisé comme celui qui voit deux noirceurs, autant de noirceurs que de stylos. Deux noirceurs qui sont " semblables ", certes, mais qu’ " il suffit de regarder pour voir qu’elles ne sont pas et n’en restent pas moins deux noirceurs ". Ainsi illustré, le problème des universaux est simple : y-a-t-il ou non deux couleurs dans les stylos de P.V. Spade ? " Le réalisme et le nominalisme sont les deux principales réponses à cette question. " (…) " le réaliste est celui, qui voyant la noirceur partout où il y a des choses noires, en conclut qu’il y a en chacune la même " entité universelle ". Alain de Libera in La querelle des universaux, Seuil, 1996, p. 18-19

La querelle des universaux date du Moyen Age. Mais elle a intéressé les logiciens comme B. Russell. Elle doit intéresser ceux qui aujourd'hui sont amenés à construire des abstractions pour faire faire des traitements d'information (nous éviterons d'utiliser le terme "connaissances") par des machines.

Les citations que nous donnons en annexe posent le problème des universaux. Nous ne ferons pas plus de développement sur ce sujet et renvoyons à quelques textes.

1 ─ Ce que nous enseigne la lecture philosophique


─ Le point essentiel est celui d'éviter de confondre les noms et les choses (ou les concepts) ─ "le mot chien ne mord pas"

─ L'abstraction qu'a un informaticien de l'ordinateur est celui d'une machine qui ne manipule que des noms (des suites de caractères).

Il ne faut pas s'étonner que les cours d'informatique théorique portent sur la théorie des langages. L'abstraction qu'a un physicien qui s'intéresse aux mémoires d'ordinateurs est différente. Il s'intéresse à des phénomènes physiques qui permettront de stocker les chaînes de caractères sur un support, ou encore à les transmettre. Il est plutôt éloigné du risque de confondre nom et chose, même si on classe parfois les physiciens en nominalistes et réalistes. [SAL 95]
Ceux qui font des spécifications algébriques s'efforcent d'éviter cette confusion. L'exemple bien connu, utilisé la première année des études universitaires, est celui de la pile. Une spécification de ce qu'est une pile est faite en termes des opérations qui peuvent être effectuées sur une pile. Les opérations ont des noms. On ne peut supposer que ces noms suffisent à spécifier ce que font ces opérations. Même si on écrit ces noms en anglais au lieu de les écrire en français, un ordinateur même "anglais" ne comprendra pas ce qui est derrière ce nom (what under a name ? fait dire W. Shakespeare à Juliette dans la scène du balcon de Roméo et Juliette). A ce sujet, combien de "dictionnaires de données" sont inutilisables ! Aussi la signification des opérations (des noms) est donnée par des axiomes comme : sommet (empiler (el, pile)) = el. On pourrait prendre n'importe quelle chaîne de caractère pour nommer les opérations. Par exemple, au lieu de sommet, chose, au lieu de empiler, strumpfer, au lieu de el, truc, au lieu de pile, machin, soit : chose (strumpfer (truc, machin)) = truc.

─ Il ne faut pas confondre logique et ontologie (même s'il y a des projets d'ontologie formelle). Nous allons illustrer le passage de la logique à l'ontologie à travers la notion de propriété.

Suite à Aristote, le paradigme de la phrase déclarative a été sujet─copule─prédicat (le terme copule a été introduit par P. Abélard au XII e. siècle). Par exemple, Socrate est mortel. De manière implicite, on a considéré qu'il y avait une bijection entre les éléments de la phrase déclarative et la "structure de la réalité", de sorte qu'on puisse dire qu'une phrase est vraie ou non. On en arrive ainsi à considérer que la réalité est composée de choses qui ont ou n'ont pas des propriétés. ". Il s’agit là, on le voit bien, non plus d’une remarque concernant le langage, mais d’une thèse " métaphysique " concernant la structure de ce qui " est " en général. De la logique, on passe à l’ontologie (= " science " de l’être en général). (…) On en arrive alors facilement à l’idée qu’il y a ultimement dans la réalité des substances individuelles qui " ont " des propriétés qu’elles partagent avec d’autres substances individuelles. (…) c’est là que les problèmes commencent, problèmes qui ont été au cœur des spéculations métaphysiques depuis l’Antiquité. " François Schmitz in Wittgenstein, Les Belles Lettres, 1999, p. 55 et s.

Le lecteur aura sans doute reconnu le "moderne " modèle "Entités Propriétés". Il est intéressant de relire des écrits d'il y a une vingtaine d'années où les auteurs discutaient ─ en ignorant les siècles d'écrits philosophiques sur ce sujet ─  non du sexe des anges mais de la question de savoir si la Date était une entité ou une propriété. Malheureusement (?!) cela a coûté fort cher aux entreprises quand il a fallu "passer à l'an 2000".
Aujourd'hui, pourtant, l'utilisateur d'un logiciel comme Accès de Microsoft manipule un type prédéfini DATE. La question n'est plus guère posée. Mais le modèle "Entités Propriétés" est encore souvent utilisé dans les "modèles objets".

─ Les limites du modèle d'Aristote, l'invention des ensembles et des relations

Quand on considère la phrase "Socrate est un homme", le sujet est un nom propre i.e. mis pour une substance individuelle. On ne peut écrire "Jules est Socrate". Socrate ne peut prendre la place d'un prédicat (la place d'une propriété).
Mais il existe d'autres phrases comme "Le professeur est un enseignant", "L'enseignant est une personne". On peut écrire "Jules est un enseignant". Jules est alors une substance individuelle et enseignant une propriété. Si on applique la même correspondance à la phrase " L'enseignant est une personne", alors enseignant désigne une substance individuelle comme Jules désignait une substance individuelle !
Curieusement la syllogistique d'Aristote opère sur des phrases du type "Le professeur est un enseignant", "L'enseignant est une personne" (et l'on peut représenter le syllogisme avec des diagrammes de Venn). Pourtant Aristote n'a pas distingué radicalement entre les phrases de la forme "Socrate est un homme" et " L'enseignant est une personne". Il a été conduit à dire que Socrate était une "substance première" et "homme", "enseignant", "personne" des substances secondes.

Il a fallu attendre des siècles pour qu'apparaissent les ensembles et les relations et de dégager du modèle d'Aristote et des discussions métaphysiques. Le mot "propriété" est absent de l'index de Bourbaki et en général des livres de mathématiques. S'il est utilisé il l'est comme synonyme d'axiome.

Revenons à Roméo et Juliette [DOW 95] Considérons la phrase "Roméo aime Juliette". Selon le modèle d'Aristote, elle est analysée en un sujet (Roméo) et une propriété (aimer Juliette). Roméo a la propriété "aimer Juliette". La copule dans nos précédents exemples était le verbe être, ici c'est le verbe avoir. Dans les deux cas, il s'agit d'auxiliaires qui ne sont pas "porteurs d'information" (selon l'expression des ouvrages sur la modélisation de bases de données).

Il faut attendre Gottlob Frege (mort en 1925) pour que les relations soient prises en compte par les logiciens. On analysera alors la phrase "Roméo aime Juliette" comme étant une relation. En termes ensemblistes, on considérera, par exemple, que le couple Roméo |─> Juliette est un élément de la relation aime qui a pour ensemble de départ l'ensemble des personnes et pour ensemble d'arrivée l'ensemble des personnes.

2 ─  Utiliser la théorie des ensembles pour spécifier

2.1. ─  Pourquoi ?

Le spécifieur confronté à un discours a tendance à faire une modélisation qu'il considère comme la bonne. Normal, il serait curieux qu'il choisisse sciemment de faire une mauvaise modélisation ! Il interprète le discours et le met "en forme" (il formalise).
Dans ce qui suit, on considère un spécifieur qui utilise la théorie des ensembles typés qui est à la base de la méthode B.
Il rédige un "modèle mathématique" qui est un invariant dépourvu de contradictions et tente d'exprimer les opérations du système comme des opérations changeant l'état de ce système dont il a donné l'invariant. S'il n'y arrive pas, il peut se dire qu'il n'a pas compris ce que lui a dit son interlocuteur ou que son modèle mathématique n'est pas un bon modèle (dans le sens de Minsky : un objet 0 est un modèle M d'une réalité R si M permet de répondre aux questions que l'on se pose sur R. Ici M ne permet pas d'effectuer des opérations répondant aux demandes de l'interlocuteur). Mais il y a grand risque que le spécifieur construise un système formel cohérent, tout en ne répondant pas à la demande ("mal")exprimée.
D'aucuns diront que c'est un rêve de croire que le formel puisse répondre à une demande par nature informelle. D'où le succès des méthodes et notations semi-formelles (alors qu'il s'agit de construire un système formel). Les ingénieurs qui conçoivent des avions, des ponts, des centrales nucléaires, etc. font du calcul formel. Et ça marche ! La "réalité physique" est là pour les rappeler à l'ordre. Dans ces domaines d'application, les ingénieurs utilisent des concepts scientifiques, des lois physiques. Il faut éventuellement des essais physiques, des mesures (et la mesure ne peut se faire sans théorie sous-jacente). Dans d'autres domaines ─ comme celui souvent appelé "systèmes d'information"─  nous ne disposons pas du concept scientifique d'étudiant, de table, de chômeur, de facture, de livre, etc.
Grand est le risque de construire un système formel (et il doit être formel puisque le processeur sera une machine et non un humain) qui, bien que respectant les spécifications, ne satisfasse pas le demandeur.

Le propre de la démarche scientifique est d'éviter l'évidence, d'éviter de faire de la métaphysique non explicitée. La théorie des ensembles nous permet de quitter la métaphysique.

Le spécifieur doit envisager les différentes abstractions possibles dans la limite du discours du demandeur, tout en sachant qu'il faudra peut-être élargir ce discours comme l'ingénieur peut demander à ce que des études d'impact d'une construction soient lancées.

C'est au spécifieur à faire émerger la "structure profonde" du discours du demandeur. Le spécifieur ne peut attendre d'un "Cahier des charges" qu'il donne cette "structure profonde". Rien n'est donné, tout est construit a dit le philosophe. Et il ne s'agit pas d'un travail qui peut être automatisé.

2.2. ─  L'exemple des deux stylos

Nous allons prendre l'exemple des deux stylos cité en début de cet article. Nous allons utiliser seulement le concept d'ensemble et de relation. Nous éviterons de parler de propriété.

Nous conserverons cet exemple, même si le fait que l'on parle de couleur pose problème, du fait de la définition donnée par le physicien de ce qu'est la couleur. Que les scientifiques veuillent bien accepter cette abstraction.

Voici quelques abstractions.

Aucune n'est meilleure que l'autre dans l'absolu. Nous ne cherchons pas à atteindre l'essence des choses et leurs propriétés. Nous ne nous posons pas des questions existentielles. Pour ceux qui veulent utiliser le verbe "être", comme Quine, nous considérons que "être est être la valeur d'une variable". Ou encore, suivant en cela l'adage du droit "Idem non esse et non probari" (Ne pas être ou ne pas être prouvé, c'est tout un"  [Roland ]), nous ne nous poserons pas la question "est-ce que cela est ?", mais plutôt, "nous considérons l'ensemble TRUC" (ce qui est certes souvent écrit dans les livres de mathématiques "Soit l'ensemble TRUC". Mais nous nous demanderons "est-ce que tel prédicat est prouvé ?" en évitant d'utiliser le terme "vérité" (un terme que l'on ne trouve d'ailleurs pas dans les index des codes du droit français).

Remarquons qu'avec la méthode B, dont nous allons utiliser la notation ensembliste, quand il s'agit d'énoncer qu'un ensemble de base est un ensemble fini, on se sert de l'ensemble des entiers dont le mathématicien allemand Kronecker disait que c'était le seul objet mathématique dont on dispose, tous les autres étant construits. Ainsi, l'Atelier B, re-écrit SETS ETUDIANT en ETUDIANT : FIN (NAT) & ETUDIANT /= {}

Mais nous pensons qu'en considérant les ensembles de base (SETS), nous pouvons aider le client à expliciter sa demande et que nous avons des chances d'avoir dégagé la structure profonde de son discours avec l'une de ces abstractions. Si ce n'est pas le cas, nous pourrons envisager de nouveaux ensembles de base (SETS).

Nous avons utilisé la notation ASCII de la méthode B (laquelle utilise aussi, bien sûr, la notation mathématique habituelle que l'on ne trouve pas sur toutes les machines)

: dénote l'appartenance ensembliste
<:: d="" ensembliste="" inclusion="" l="" note="" o:p="">
|─> dénote un couple (maplet) i.e. un élément d'un produit cartésien
* dénote le produit cartésien
~ dénote l'inverse (on dit aussi la converse ou encore la réciproque) d'une relation.
= est le prédicat d'égalité
/\ dénote l'intersection
& dénote le et logique
[  ] dénote une suite
iseq (TRUC) dénote l'ensemble des suites injectives que l'on peut construire avec les éléments de TRUC

Les SETS sont des "ensembles de base". Ce sont des ensembles d'individus, i.e. qu'un élément d'un SET n'est ni un couple, ni un ensemble. On n'a pas le droit d'écrire, si PENCIL et COLOR ont été déclarés comme des SETS, des énoncés tels que : PENCIL /\ COLOR = {}. Un tel énoncé serait mal typé.

Voici donc différentes spécifications (abstractions) . Nous commentons entre /*  */ la spécification formelle.

Spécification 1.

SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1, p2}               /* on a deux éléments de l'ensemble stylos */
colors ={c1, c2}                    /* on a deux éléments de l'ensemble couleurs. Sans doute, le lecteur comme le spécifieur, ne pensera pas à cette abstraction. Or, pourquoi distinguer deux stylos et ne considérer qu'une seule couleur ? Dans l'entreprise qui fournit ces stylos, il n'y a en l'occurrence qu'un stylo (d'ailleurs on trouve la même référence écrite deux fois, ref. : 1791). Quand l'IUT de Nantes a commandé, il n'a pu faire référence à p1 et à p2, mais seulement à cette référence qu'il a commandée en 100 exemplaires. */
colorOf= {p1|─> c1, p2 |─> c2}
sameColorAs = {c1|─> c2}              /* cette relation qui n'a ici qu'un seul élément (un seul couple), nous dit que les couleurs c1 et c2 sont les deux mêmes couleurs */
sameColorAs = sameColorAs~         /* si c1 est de même couleur que c2, c2 est de même couleur que c1 */
samePencilAs = {p1|─> p2}            /* p1 et p2 sont les mêmes stylos. A noter que pour dire cela, il faut que p1 et p2 soient deux éléments… on ne voit pas l'intérêt de spécifier que p1 est le même que p1 ! On ne travaille que sur des noms !  */
samePencilAs = samePencilAs~

Spécification 2

SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" span="">
pencils = {p1}                         /* nous n'avons qu'un seul stylo. On va spécifier plus loin que nous en avons 2 exemplaires. Mais aucune information dans notre abstraction ne permet de distinguer entre ces deux exemplaires. Ils sont anonymes. L'informaticien mettant en œuvre la loi "Informatique, Fichiers et Liberté" dirait que nous ne traitons pas d'"information nominative ". */
colors ={c1}                      /* nous n'avons qu'une seule couleur */
colorOf= {p1|─> c1}
nbOfPencils = { p1|─> 2} /* nous avons deux stylos p1, deux exemplaires du stylos p1, deux occurrences du stylo p1 */

Spécification 3

SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1}
colors ={c1}
myPencils = iseq (pencils)                   /* nous avons une suite injective de stylos. Une suite comme [p1, p1] ne serait pas injective car on y a écrit deux fois p1. Nous pouvons distinguer tel stylo de tel stylo comme on distingue Bush junior de Bush senior (i.e. par leur place dans l'arbre généalogique. Dans la spécification précédente, nous ne pouvions distinguer un stylo d'un autre, dans cette spécification, nous le pouvons. C'est comme dire, prenez le stylo que j'ai dans ma main droite. */
myPencils = [p1, p1]
colorOf= {p1|─> c1}

Spécification 4

SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1, p2}                              /* Voici la spécification que rédigeront sans doute la plupart des spécifieurs. Et pourtant, c'est une des spécifications qui ne convient sans doute à aucune entreprise ! */
colors ={c1}
colorOf= {p1|─> c1, p2 |─> c1}
samePencilAs = {p1|─> p2}   
samePencilAs = samePencilAs~

Spécification 5

SETS
PENCIL, COLOR
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1}         
colors ={c1, c2}
colorOf= {p1|─> c1, p1 |─> c2}              /* Oui, pourquoi pas ? vous me direz que je pousse le bouchon un peu loin. C'est que vous "connaissez bien les stylos et les couleurs" ! mais qu'en serait-il si il s'agissait d'un domaine inconnu pour vous ? Aux universitaires, je peux proposer de prendre le domaine du fameux logiciel "Nabuco" */
sameColorAs = {c1|─> c2}
sameColorAs = sameColorAs~

Spécification 6

On peut considérer que les deux stylos sont un produit vendu par l'entreprise dont on spécifie le système d'information. Il n'est pas possible d'acheter moins que le "pack" de "deux stylos" et le "pack" est un pack de stylos noirs.

SETS
PRODUCT; COLOR
produits <: o:p="" produit="">
produits = {p1}
colors <: color="" o:p="">
colors = {c1}
comprendUnNombreDeStylosEgalA : {p1 |─> 2}
colorOf= {p1|─> c1}

Spécification 7

On peut considérer que l'on a un ensemble de composants.

SETS
COMPOSANT; COLOR
composants <: composant="" o:p="">
composants = {p1, p2, p3}
estComposéDe : composants <──> composants
estComposéDe = {p1 |─> p2, p1 |─> p3}
produits <: amp="" composants="" e="" estcompos="" produits="" ran="" span="">  /* les produits ne composent pas un composant */
nbOfProducts = { p1|─> 2} /* à ne pas confondre avec le cardinal de produits (qui est ici égal à 1) */


Les éléments de nos ensembles sont-ils des concepts ou des noms ? Il doit être clair que ce ne sont que des chaînes de caractères. Ces chaînes peuvent pour nous désigner des concepts. Pour cela, il faut qu'il y ait bijection entre l'ensemble des chaînes et des concepts (cette bijection ne se trouvant pas dans la spécification !).

3 ─ Les noms et les concepts

On peut vouloir spécifier la relation entre concepts et noms (les mots, les chaînes de caractères). Ce peut être fait en considérant un SET NOM. Mais, il faut bien se rendre compte que les ensembles PENCIL, COLOR et NOM sont formellement des ensembles de chaînes de caractères. Comme l'a dit Beckett "Que voulez-vous, Monsieur, les mots, on n'a rien d'autre" et comme l'a dit J.J. Rousseau " Les définitions seraient de bonnes choses si on n'utilisait pas des mots pour les faire."

Considérons le modèle "relationnel n-aire de Codd".

Soit le schéma relationnel

Stylos (marque, refStylo, désignation, couleurStylo, NombreEnStock)

Dans les écrits sur le "modèle objet", le fait que la "clé" soit composée de "propriétés" a été critiqué. En effet, il a été écrit que si un stylo change de marque ou de référence, on aura perdu son identité…alors qu'avec le "modèle objet" on dispose du concept d' "identité d'objet". Dans un tel modèle, on peut avoir deux égalités, une qui porte sur les identifiants d'objets, une autre qui porte sur les propriétés.
Ainsi, nous pourrions écrire que telle ville s'est appelé Saint-Pétersbourg, puis Léningrad et enfin Saint-Pétersbourg. "Telle ville" aurait un identifiant d'objet qui lui ne changerait pas.

Remarquons que les variables prennent des valeurs et que, comme leur nom l'indique, les variables peuvent changer de valeur, mais une valeur ne change pas de valeur.

Il ne faut pas retomber dans les questions de substances premières ou secondes introduites par Aristote ! " Rien dans le système formel ne peut garantir que "telle ville" même représentée par un identifiant d'objet de valeur 2134, ne change pas de représentant d'objet ! Le couple "telle ville" |─> 2134 est hors du formel.

Remarquons de plus que la valeur de l'identifiant d'objet ne fait pas partie du vocabulaire de l'utilisateur du logiciel. Aussi, si un utilisateur veut accéder à un objet logiciel, il ne peut le faire que par des noms qui ont un sens pour lui et qu'il utilise comme identifiant des objets qu'il manipule (physiquement ou dans son intellect). Ce qu'il faut se demander c'est comment, dans la langue, l'utilisateur désigne un type d'objet. Ce dont il ne peut parler, à quoi bon en parler !
Et, le modèle relationnel "n-aire' n'empêche pas les stylos de changer d'identifiant. Plus précisément, il s'agira d'enregistrer que la ville nommée Léningrad s'appelle maintenant Saint-Pétersbourg, c'est-à-dire maintenir une relation "La ville nommée …… est la même que la ville nommée …..", même chose pour nos stylos. Les relations ne sont faites que de valeurs.

Prenons la spécification 4)

SETS
PENCIL; COLOR; NAME
pencils <: o:p="" pencil="">
colors <: color="" o:p="">
pencils = {p1, p2}
pencilsNames : pencils >─> NAME           /* pencilsNames est une variable qui prend comme valeur un élément de l'ensemble des fonctions surjectives totales de pencils vers NAME. I.e. tout élément de pencils est relié à un et un seul élément de NAME et un élément de NAME est relié au plus à un élément et un seul de pencils. */
colorsNames : colors >─> NAME
colors ={c1}
pencilsNames = {p1 |─> uniball, p2 |─> roller}
colorsNames = {c1 |─> black}
colorOf= {p1|─> c1, p2 |─> c1}
samePencilAs = {p1|─> p2}
samePencilAs = samePencilAs~

On peut se demander ce qui identifie les noms eux-mêmes. Les noms identifient eux-mêmes. Dans notre exemple, p1, p2, c1 ne font pas partie du vocabulaire de l'utilisateur., les éléments de NAME, eux en font partie. Les noms des variables doivent avoir une signification qui est explicitée formellement par les concepts de mathématiques (ensemble, fonctions, appartenance, etc.)

En ce qui concerne le nom des variables, il n'a aucune importance en ce qui concerne le traitement formel. Il a toute l'importance en ce qui concerne la modélisation. Avons-nous bien interprété le monde se demandera l'informaticien ? Le monde est-il un modèle (une interprétation) de notre système formel demandera le logicien ?


Remarque :

Nous ne désirons pas faire du "réductionnisme logique". Nous ne nous opposons pas à ce qu'écrit Patrice Enjalbert [Enjalbert 1996] :
" entre "le monde" et le modèle au sens logique. Il n'est pas du tout évident que le "schéma ensembliste" soit bien celui de notre cognition. Ne serait-ce que parce qu'il présuppose des entités, des objets, parfaitement différenciés et individualisés, ce qui est parfaitement problématique s'il est question de substances, d'étendue, de milieux continus…De nouveau, la définition d'entités clairement définies est un critère de pensée scientifique, or le langage est communément utilisé dans de tout autre cadres. "
Nous ne prétendons pas traiter de "cognition" et nous avons comme but l'implantation sur une machine qui manipule le discret.

Conclusion


Annexes


Dans un dialogue publié en 1677, Leibniz écrit (merci à J.M. Hémion qui m'a communiqué ce texte) :

"A─ Donc tu crois que c'est dans les choses, non dans les pensées, que se trouvent la vérité et la fausseté.
B ─ Oui, sans doute.
A ─ Est-ce que c'est une chose qui est fausse ?
B ─ Non pas une chose, à mon avis, mais la pensée ou la proposition portant sur la chose.
A ─ Donc la fausseté est une propriété de nos pensées, non des choses.
B ─ Je suis forcé de l'avouer.
A ─ Donc la vérité aussi, n'est-ce pas ? (…)
A─ Certains savants pensent que la vérité naît par décision humaine et qu'elle provient des noms ou des caractères.
B ─ C'est une opinion très paradoxale.
C ─ Mais ils en donnent la preuve suivante : la définition n'est-elle pas le principe de la démonstration ?
B ─ J'en conviens car on peut démontrer des propositions à partir des seules définitions liées entre elles.
A ─ Donc la vérité de telles propositions dépend des définitions.
B ─ Je l'accorde.
A ─ Mais les définitions dépendent de notre décision.
B ─ Pourquoi cela ?
A ─ Ne vois-tu pas qu'il est sous la décision des Mathématiciens d'utiliser le mot Ellipse, afin qu'il désigne une certaine figure ? (…)
B ─ Et alors ? Les pensées ne peuvent se produire sans mots.
A ─ Mais non sans d'autres signes. Essaie, je te prie, d'effectuer un calcul arithmétique sans signes numériques (quand Dieu calcule et exerce sa pensée, le monde existe).
B ─ Tu me troubles beaucoup ; je ne croyais pas, en effet, que les caractères ou les signes fussent si nécessaires pour raisonner.
A ─ Donc les vérités mathématiques supposent quelques signes ou caractères.
B ─ Je dois l'avouer.
A ─ Donc elles dépendent de la décision des hommes. (…)
B ─  (…) bien que les caractères soient arbitraires, cependant leur usage et leur connexion ont quelque chose qui n'est pas arbitraire, à savoir une certaine proportion entre les caractères et les choses, et les relations entre eux des différents caractères exprimant les mêmes choses. Et cette proportion ou relation est le fondement de la vérité. "

 


"Les substances sont réelles et même, en un certain sens, l'universel est premier par rapport à l'individuel, d'où le réalisme des universaux (universalia in re et ante rem).
L'Espèce homme, bien qu'inséparable des individus qui l'incarnent, se reproduit indépendamment de leur variation individuelle. La substance première est composée de forme et de matière, elle est radicalement obscure. La prédication accidentelle porte principalement sur les abstraits. Les accidents ne sont pas séparables en tant qu'ils sont réels ; ils dépendent pour leur existence de la chose dans laquelle ils sont. D'où le conceptualisme des universaux (universalia post rem). L'abstrait est appréhendé immédiatement - en tant qu'il est particulier - dans les sensations ou dans l'imagination.
Pour Aristote l'attribution de l'existence (ce que l'on pourra appeler l'engagement ontologique) est liée non pas à la syntaxe mais à la sémantique. Je puis définir un cercle et utiliser la prédication essentielle sans reconnaître qu'il existe. Parce qu'elles portent sur les substances, la physique et la théologie sont ontologiques ; parce qu'elle porte sur des abstraits, la mathématique ne l'est pas. Il ne peut donc y avoir de physique mathématique.
L'attribut caractéristique des substances sensibles, le mouvement, reste en dehors des prises de la méthode mathématique. Car -acte conjoint d'un moteur et d'un mobile - il est rapporté à une substance. Thèse classique - Koyré, Gueroult -, c'est en brisant l'opposition radicale entre substance et abstrait que la science moderne a pu se constituer.
(...)
Russell a posé le problème de la nature de l'abstraction mathématique (...) Le mathématicien adaptant une conception ensembliste de la définition mathématique n'établit aucune différence entre classer et abstraire, entre l'acte de considérer un élément de E, ensemble donné, comme appartenant à un sous-ensemble exclusif des autres, sa classe d'équivalence, dont il est un représentant et qui en est une généralisation, et l'acte de considérer la propriété abstraite commune à tous les éléments de E qui appartiennent à la même classe d'équivalence et dont chacun de ces éléments est le porteur concret.  Chacun des éléments appartenant au même sous-ensemble est lié à un autre de cette même classe par une relation dite d'équivalence qui possède les propriétés formelles de réflexivité, symétrie, transitivité. (...)

En insistant sur le caractère abstrait des classes d'équivalence, Russell pose le problème du réalisme : les abstraits mathématiques possèdent-ils une existence objective, indépendante de notre représentation ? Ou au contraire, comme le nominalisme l'indique, ne présentent-ils qu'une existence nominale et non réelle ?

On sait que pour Aristote les objets mathématiques sont des abstraits mais par opposition à des substances - le mathématicien peut faire comme si le cercle ou le carré étaient des universels existants, il ne peut en inférer que les cercles ou les sphères existent en dehors des roues ou des boules sensibles. La question se pose pour les ensembles par exemple.

Il y a deux solutions à ce problème dit de l'engagement ontologique. La première est celle de Quine : exister c'est être la valeur d'une variable. (...)
La seconde solution, celle de Russell, déclare qu'exister abstraitement c'est imposer un ordre et un sens à des éléments qui ne le comprennent pas en eux-mêmes."

Jean-Jacques Szczeciniarz in Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences (sous la directeur de Dominique Lecourt), PUF, 1999

« Cirage polyglotte. 'Neutral. Incolore. Natur. Neutro. Natural. Incoloro.' Telle est la … couleur que j'ai vue annoncée sur une boîte de cirage à vocation européenne. D'après d'autres indices fournis par l'étiquette, les termes employés sont respectivement anglais, français, allemand, italien, portugais, espagnol. Quoique les Romains aient mis en garde contre les propos trop prétentieux ('Cordonnier, pas plus haut que la chaussure !' disaient-ils) comment résister à la tentation de soutenir, en y mettant le ton grave et docte qui sied, que cette modeste étiquette sur une boîte de cirage 'pose tous les problèmes de la traduction' ?
Un Allemand achetant un cirage de couleur nature se procure-t-il le même produit qu'un Français achetant un cirage de couleur incolore ? Qu'y-a-t-il de naturel dans la neutralité, qu'y a-t-il d'incolore dans la nature ? Pourquoi cette topologie, le portugais, par exemple, se retrouvant d'accord avec l'allemand pour retenir la notion de nature, et se séparant inexplicablement de sa langue soeur, l'espagnol ? A défaut de neutralité, admirons au moins la parfaite symétrie ternaire respectée par le fabricant, chaque notion étant convoquée exactement deux fois. Comme ces notions existent, je suppose, dans les six langues, à quelle nécessité répond le fait que telle langue recourt à l'une plutôt qu'aux deux autres ? en français, on aurait pu aussi bien mettre 'neutre' que 'incolore', mais pas 'nature'. Qu'en est-il des autres langues, et quelles conclusions en tirer ? Etc., etc.
Que d'interrogations ! Nous en oublions de faire nos chaussures. Renonçons donc à toute conclusion, et ouvrons la boîte ; Voilà que nous tombons que un produit de couleur blanche ! Je l'ai vu, c'est indiscutable, même un Allemand ne me chercherait pas querelle là-dessus. Pas de doute : dans le cirage, nous sommes. »

Extrait du Bloc Note de Didier Nordon dans Pour la Science, N° spécial "Communication, ordinateurs et réseaux", N°169, nov. 1991

Bibliographie :

Arsac Jacques, La science informatique, Dunod, 1970
Blanché Robert, Dubucs Jacques, La logique et son histoire, Armand Colin, ISBN: 2-200-01472-4, 1970, 1996
Bourbaki Nicolas, Théorie des ensembles, Masson, 1990
de Libera Alain, La querelle des universaux, De Platon à la fin du Moyen-Age, Des Travaux, Seuil, 1996, ISBN : 2-02-024756-9
Chazal Gérard, Terrasse Marie─Noëlle (coordinateurs), Philosophie du langage et informatique, Hermes, ISBN : 2─86601─530─4
Dowek Gilles, La logique, Dominos, Flammarion, 1995
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Habrias Henri, Dictionnaire encyclopédique du génie logiciel, Masson, 1997, ISBN : 2-225-85328-2
Habrias Henri, Spécification formelle avec B, Hermes-Lavoisier, 2001, ISBN : 2-7462-0302-2
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Gardies Jean-Louis, Esquisse d'une grammaire pure, J. Vrin, 1975
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Marco Panza, Jean-Michel Salaskis, L'objectivité mathématique, Platonismes et structures formelles, Masson, 1995
Popper Karl, Le réalisme et la science,
Russell B., Histoire de mes idées philosophiques, Tel Gallimard,1661, ISBN :2-07-071474-8
Jean-Michel Salaskis , L'objectivité mathématique, Platonismes et structures formelles, sous la direction de Marco Panza, , Masson, 1995
Schmitz François, Wittgenstein, Figures du savoir, Les Belles Lettres, 1999

Jean-Jacques Szczeciniarz in Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences (sous la directeur de Dominique Lecourt), PUF, 1999

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