samedi 9 février 2013

Le boeuf et le cheval, l'écologie moderne et les Logiques (Les ingrédients des phrases)

Logiques (Les ingrédients des phrases)
Extraits de deux excellents petits livres.

Gilles Dowek in La logique, Dominos, Flammarion, 1995, p. 1 3-15
François Schmitz in Wittgenstein, Les Belles Lettres, 1999, p. 55 et s.et une fable philosophique de B. Russell.

Logique d'Aristote
« Avec Aristote, l’opposition entre les objets et les propriétés des objets (ou prédicats) est dégagée.
Par exemple, le mot « Sherlock Holmes » désigne un objet particulier, alors que le mot « détective » désigne une propriété que certains objets vérifient et d’autres non.
Les phrases les plus simples sont formées en reliant un objet et une propriété par un verbe « être » ou par sa négation :

« Sherlock Holmes est détective »,
« Arsène Lupin n’est pas détective ».

Mais Aristote ne s’intéresse pas tellement à ces phrases qui concernent un objet particulier.
Son attention s’attache davantage aux phrases générales qui relient les propriétés entre elles :
celles qui expriment que tous les objets vérifiant une propriété A vérifient également une propriété B
(« Tous les détectives sont intelligents »)
et celles qui énoncent que quelques-uns des objets vérifiant une propriété A vérifient une propriété B
(« Quelques détectives sont célèbres »)
ainsi que les formes négatives de ces phrases.
[« C’est à Aristote que revient le mérite d’avoir distingué avec une grande netteté le rôle des propositions « universelles » de celui des propositions « particulières », première ébauche des quantificateurs. L’absence de véritables quantificateurs (au sens moderne) jusqu’à la fin du XIXe siècle, a été une des causes de la stagnation de la Logique formelle. » N. Bourbaki in Théorie des ensembles, Chapitres 1 à 4, Masson, 1990]
Les objets ont été intégrés aux mécanismes d’Aristote par Guillaume d’Ockam (1285-v. 1349), ce qui permet, par exemple, le raisonnement suivant :

« Tous les détectives sont intelligents, Sherlock Holmes est détective, donc Sherlock Holmes est intelligent. »

Les stoïciens
Avec les stoïciens apparaît également la notion de phrase formée à l’aide de conjonctions. Par exemple avec la conjonction « et » et les phrases « Sherlock Holmes est détective » et « Arsène Lupin est cambrioleur », on peut former la phrase

« Sherlock Holmes est détective et Arsène Lupin est cambrioleur ».

Les logiciens de l’antiquité et du Moyen Age disposaient donc du concept de propriété d’un objet, mais ils ne disposaient pas encore de celui de relation entre plusieurs objets.

Dans la phrase « Roméo aime Juliette », ils distinguaientune propriété « aimer Juliette » qui s’appliquait à un objet « Roméo »
et non une relation « aimer » qui s’appliquait à deux objets « Roméo » et « Juliette ».

De ce fait, les Anciens traitaient globalement la locution « aimer Juliette » sans jamais la décomposer, et il leur était impossible de considérer dans leur raisonnement des phrases telles que

« Tout le monde aime quelqu’un » ou
« Tout le monde aime tout le monde »

dans lesquelles non seulement le sujet mais aussi l’objet sont généraux.
Gottlob Frege (1848-1925)
Il faut attendre les travaux de Gottlob Frege (1848-1925) pour que les relations soient prises en  compte par les logiciens.
Frege considère que les relations qui s’appliquent à deux objets, à trois objets, etc., et les propriétés deviennent des relations particulières qui s’appliquent à un seul objet. (…)
G. Frege et C. S. Peirce (1839-1914) ont emprunté au langage mathématique l’un de ses mécanismes clés : l’utilisation des variables.
Les variables
Les variables ont été introduites dans le langage mathématique pour parler d’objets encore partiellement indéterminés. Avant l’introduction des variables, on devait dire « Quel est le nombre qui, multiplié par 37, donne 666 ? » (…) François Viète (1540-1603) [né à Fontenay-le-Comte en Vendée. Le centre François Viète situé à la Faculté des sciences et des techniques de Nantes, s’intéresse à l’épistémologie des sciences], à la fois mathématicien et magistrat, eut l’idée de désigner de tels objets par des lettres, les variables, sur le modèle du langage juridique qui désigne ainsi les individus non encore identifiés (par exemple, quand on porte « plainte contre X ». Depuis Viète, on peut dire : « Quel est le nombre x tel que x X 37 soit égal à 666 ? » (…) La lettre x, qui vient du grec  (khi), lui-même transformation de l’arabe chay’, qui signifie « chose ».
Frege et Peirce ont proposé de remplacer les expressions « tout » ou « quelque » [quantificateur universel et quantificateur existentiel] par des variables dont on indique ensuite la signification et la portée. Ainsi, pour dire que tout le monde aime Marilyn Monroe, on dit « Pour tout x, x aime Marylin Monroe », et pour dire qu’il y a une personne que tout le monde aime, on dit « Il existe y tel que pour tout x, x aime y. ». Cette phrase se distingue alors de « Pour tout x, il existe y tel que x aime y » qui signifie que chacun aime quelqu’un sans que toute le monde aime forcément la même personne. »
Gilles Dowek in La logique, Dominos, Flammarion, 1995, p. 1 3-15

Propriété
« Beaucoup de problèmes qui ont agité les philosophes résultent de la remarque suivante :
si l’on admet que les forme-noyau de toute phrase déclarative est Sujet-copule-Prédicat, c’est que l’on suppose, plus ou moins consciemment, que cette forme est ajustée à la structure de la réalité elle-même, de sorte que cette correspondance entre forme de la phrase et structure de la réalité garantisse la possibilité pour une phrase d’être vraie.
Cela implique que l’on admet, si l’on suit l’analyse d’Aristote, que la réalité, en son fond, est composée de « choses » qui ont ou n’ont pas des propriétés. Il s’agit là, on le voit bien, non plus d’une remarque concernant le langage, mais d’une thèse « métaphysique » concernant la structure de ce qui « est » en général. De la logique, on passe à l’ontologie (= « science » de l’être en général).
(…) On en arrive alors facilement à l’idée qu’il y a ultimement dans la réalité des substances individuelles qui « ont » des propriétés qu’elles partagent avec d’autres substances individuelles. Si notre forme noyau S?P est pertinente c’est précisément qu’elle est comme le reflet de la réalité. (…)
c’est là que les problèmes commencent, problèmes qui ont été au cœur des spéculations métaphysiques depuis l’Antiquité. (…) Le premier et le plus célèbre a reçu au Moyen Age le nom de « problème des universaux » » voir aussi
François Schmitz in Wittgenstein, Les Belles Lettres, 1999, p. 55 et s.

et cette fable de Bertrand Russell
L' aubergiste et les philosophes
« Il y avait une fois un groupe de philosophes de diverses écoles qui voyageaient dans une région écartée du continent. Ils trouvèrent une auberge modeste où ils commandèrent à dîner ; l’aubergiste leur promit un rôti de bœuf. Mais le rôti, quand il arriva, n’était pas appétissant.
L’un des philosophes, disciple de Hume et voyageur plein d’expérience, fit venir notre hôte et lui dit :
 « Ce n’est pas du bœuf, c’est du cheval. »

Il ne savait pas que l’aubergiste avait connu de meilleurs jours, mais que négligeant ses affaires, il s’était ruiné par amour de la philosophie ; il fut donc étonné lorsque l’aubergiste lui répondit :
« Monsieur, je suis surpris de vous entendre dire quelque chose que vous croyez dépourvu de sens. « Bœuf » et « cheval », selon vous, ne  sont que des mots, et ne désignent rien dans le monde du non-langage. La discussion ne concerne donc que des mots. Si vous préférez le mot « cheval », c’est bel et bien ; mais je trouve le mot « bœuf » plus profitable. »
A cette réplique, tous les philosophes se mirent immédiatement à discuter.
« L’aubergiste a raison, dit un disciple de Roscelin, « bœuf » et « cheval » ne sont que des sons proférés par le souffle de l’homme, et aucun d’eux ne peut désigner cet abominable et très coriace morceau de viande. –
Absurdité, répliqua un platonicience rôti vient d’un animal qui, lorsqu’il était vivant, était une copie du cheval éternel qui se tient au ciel, et non d’un bœuf éternel. »
Un Augustinien fit remarquer :
« Bœuf » et « cheval » sont des idées dans l’esprit de Dieu, et je suis certain que l’idée divine du bœuf est quelque chose de très différent. »
Il n’y avait qu’un point sur lequel ils étaient tous d’accord, et c’était qu’un individu vendant de si mauvais morceaux sous le nom de « bœuf » méritait d’être poursuivi pour fraude. Sur quoi l’aubergiste, qui savait que le magistrat local n’était pas philosophe, s’effraya, et offrit un autre rôti, qui donna satisfaction à tous.
Le sens de cette parabole est que la question des « universaux » n’est pas simplement une question de mots, mais qu’elle se pose lorsque l’on veut énoncer des énoncés de faits. » Bertrand Russell, in Histoire de mes idées philosophiques, chap. XIV, Les universaux, les particuliers et les noms, p. 194-95

http://www.lina.sciences.univ-nantes.fr/coloss/members/habrias/coursb/phraselogique.html

P.S. Actualité


Saviez-vous pourquoi les Roumains ont trop de viande de cheval ?
Parce qu'ils ont une loi interdisant maintenant les carrioles à cheval sur les routes !
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