vendredi 5 juillet 2024

Le dormeur du val, de mon CE2 à aujourd'hui

 J'ai découvert le poème d'Arthur Rimbaud en classe de CE2 dans les années 50 aux Casernes ! oui, aux casernes ! à Saint-Yrieix-la-Perche. Aux casernes si jeune. 

La cour était partagée en deux par un mur bas à angle droit avec le bâtiment. A gauche, les garçons, à droite les filles. Mais au collège (devenu lycée de nom), c'était mixte. On était en avance sur les grandes villes !

 

Elle était dure la vie en Limousin dans ces années. Aucun élève ne venait en voiture. Les plus veinards étaient les enfants d'instits. Ils logeaient en dortoir (vous vous souvenez de nos journalistes français qui vous disaient en mai 68 que les étudiants manifestaient pour recevoir des filles dans leur dortoir ! ils n'avaient pas vécu en "dormitory" sur un campus des USA comme moi !) i.e. dans une chambre de l'appartement de leurs parents au dessus des salles de classes. En plus ils jouaient au tennis sur place. Mais ils ne profitaient pas du parcours des autres. Certains venant de loin, nous apportaient parfois une pie, un geai. Ils avaient du succès à la récré.

Les casernes étaient occupées par l'école primaire des garçons et des filles et par la maternelle.  Et aussi par le "cours secondaire"

Je me souviens encore de la place que j'avais dans la salle de classe !

Et de la découverte ligne à ligne de cette poésie.

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, octobre 1870

Le cresson bleu ne m'avait pas étonné. On allait en chercher à la fontaine qui se trouve à droite en venant du Chalard, maintenant presque en face du Centre de traitement de l'obésité. Quand le soleil tapait sur la fontaine, je pouvais le voir bleu le cresson.

La lumière qui pleut, on voyait ça en classe au mois de juin, il pleuvait des atomes de poussière que le soleil nous permettait de voir quand on rêvait lorsque l'instit avait le dos tourné et écrivait la morale du jour au tableau noir.

Le nue ? je ne connaissais que les nues. "Tu tombes des nues !"

Les glaïeuls il n'y en avait pas dans la fontaine. Par contre sur le bord de la Loue ou de l'Isle, il y avait des iris jaunes.  


On en parle actuellement sur X (le nouveau non de Touiteur) car il a dû être au programme de l'oral du bac.

Fidélouère ! le niveau est sacrément monté. Du CE2 au Bac !

et je lis des commentaires d'élèves qui disent "je n'y ai rien compris" ! Bé comme moi aux paroles de la chanteuse choisie pour les JO planétaires

Oh, Djadja (Yeah-yeah-yeah-yeah)
J’suis pas ta catin Djadja, nan (Yeah)
Y’a pas moyen Djadja, ouais (Yeah-yeah)
En catchana baby, tu dead ça d’après toi
En catchana baby, tu dead ça (Oh, Djadja)
En catchana baby (Oh, Djadja)
En catchana baby, tu dead ça (Oh, Djadja)
En catchana baby, yeah (Oh, Djadja)
Maluma, baby
Oh, Djadja
Ven, ven, ven, ven
(Oh, Djadja)
Yeah-yeah-yeah
 
Mes ex collègues anglais francophone et francophiles  sont affligés.

De nos jours, on trouve des tas de pages sur le poème d'Arthur. Peut-être même qu'on en parle dans https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_et_les_Minimoys_(film) !

Voici ce que je lis dans un touit d'un prof qui "corrige" (! ah il corrige ! les élèves vont venir voir ses corrections de copies !)
 
"Qd tu corriges 36 copies de brevet d HistoireGéo tu te rends compte de l'inutilité absolue de ton métier.
En Hist, Pas une seule n a été capable de parler de la Shoah et du  nombre de victimes du génocide.
En géo, pour bcp, le rayonnement culturel de la France c'est Disneyland..."
 
On n'avait pas ça dans les années 50 ! mais je crois savoir que bien des élèves ne vont chercher sur la Toile que ce qu'ils savent déjà (c'est pareil pour moi. Je n'étais jamais allé chercher Aya Nakemura car je ne voulais pas acheter un vélo électrique Aya Nakemura comme j'en vois parfois attaché à l'arceau à côté du mien qui est "musculaire" (oui je viens de l'apprendre).

On trouve des merveilles sur la Toile. Des enseignants font un travail pédagogique extraordinaire dans toutes les matières. 
 

Voici une analyse de Lucenthos qui m'a bien plu.

Sur ce site dont j’apprécie les choix littéraires, je fais parfois un commentaire de poèmes connus ou moins connus, commentaire en général assez long parce qu’il s’adresse en priorité à l’attention d’étudiants qui, d’après leurs propres remarques sur ce site et ailleurs, paraissent démunis devant certains textes. Mes commentaires sont assez libres, ils ne suivent pas nécessairement les méthodes habituelles enseignées avec profit dans les établissements scolaires, notamment du point de vue de la prosodie et de la rhétorique poétique. Le but est de sensibiliser l’étudiant(e) qui cherche à voir plus clair dans un texte qui ne lui parle pas immédiatement, à une observation plus précise d’une écriture qui peut paraître d’emblée comme une langue étrangère.

Selon ma lecture, qui n’enlève rien à la profondeur, à la beauté singulière de ce poème juvénile d’Arthur Ribaud ni à sa portée déjà hautement symbolique et, contrairement à l’explication que l’on en donne souvent, je n’y vois pas trop un suspens progressif dont l’aboutissement serait l’imprévisible chute au dernier vers. Pareille interprétation a pu induire parfois une façon « scolaire » de lire ou de dire le poème comme une « récitation » à effet final garanti. Bien sûr, on peut avoir de ce texte si original par sa complexité cachée, une autre approche que la mienne.

Le premier quatrain décrit un « petit val ». L’expression est charmante et tout un vocabulaire de la nature : « verdure », « rivière », « herbes », « soleil », « montagne », « rayons » dépeint un lieu qui, à première vue, semble paisible et charmant. Mais on relève que le jeune poète a instinctivement pris soin d’écrire non pas un nid, un lit ou un creux de verdure mais plus prosaïquement « un trou » de verdure .Cela peut surprendre dès l’abord.

Qu’à cela ne tienne, la rivière chante, cela pourrait être de bon augure pour une scène bucolique, cependant l’eau qui ruisselle sur l’herbe dessine non pas d’aimables entrelacs mais des « haillons d’argent ». On doit être attentif en poésie plus qu’ailleurs aux mots employés même et surtout quand ils sont combinés à d’autres dans des métaphores surprenantes. « Haillons d’argent » en est une superbe et audacieuse qui anticipe le futur virtuose des rapprochements de mots les plus imprévus que sera le Rimbaud du Bateau ivre, mais ici il fait plus que suggérer un joli mouvement de l’onde sur l’herbe avec des réseaux miroitants, il veut aussi, en même temps, créer une ambiance, une atmosphère qui n’est pas si sereine que l’on pourrait croire au premier chef. Dans ce sens, on remarquera que le terme haillon connote aussi chiffon, loque, oripeau et charpie et cela fait déjà comme une petite déchirure dans ce décor qui paraissait radieux.

En réalité, on a, dès l’essor du poème, deux séries terminologiques contraires, l’une visant à donner une impression de sérénité champêtre avec les mots verdure, rivière, herbes, argent, soleil, montagne, val, rayons, cresson bleu, nue, vert, lumière glaïeuls, qui sont autant d’ingrédients propres à l’évocation d’un coin de nature avenant et les verbes d’action chanter, luire, mousser qui participent à cette présentation d’une nature vivante.
L’autre série regroupe, verbes et noms confondus : trou, accrocher, haillons, pâle, malade, froid … qui indiquent un autre type d’évocation : la nature est belle certes mais elle recèle aussi de pièges et comporte des aspects moins rassurants.
Tout au long du poème ces deux séries de termes opposés vont alterner ou se combiner, et ce mélange savant d’apparente sérénité et d’inquiétude larvée, va produire une impression de malaise grandissant. Suivant la sensibilité de chacun la préférence ira dans un sens ou l’autre…

Dans ce décor peu banal, le deuxième quatrain nous montre un personnage étendu sur l’herbe et immédiatement identifiable par son apparence physique, son uniforme, c’est « un soldat jeune. ». Les appelés avaient en général une vingtaine d’années lors de la conscription en 1870 et Rimbaud qui a environ seize ans quand il écrit « Le dormeur du val », se sent sans doute très proche de celui qui est « étendu » dans ce fossé herbeux. Que fait-il là, loin de ses quartiers ? Se serait-il éloigné de son régiment ? Perdu au cours d’une manœuvre ? Est-ce un troupier épuisé qui s’accorde un moment de repos après une action guerrière ? Est-il Français ou Prussien d’ailleurs ? Rien ne permet de le préciser. Sans parti pris, c’est un soldat, un homme qui par temps de guerre est tenu de se battre et d’exposer sa vie… Or, à cette époque la France est en guerre. Le poème a été écrit en octobre 1870, peu après la bataille de Sedan opposant l’armée de Napoléon III à l’armée prussienne et tout près de Charleville où vivait Rimbaud. Il a pu voir des scènes directement ou des photos de scènes de guerre accablantes…

L’attitude de ce soldat isolé est étrange. Sa « bouche ouverte » et sa tête dépourvue d’un képi ou d’un casque réglementaires, surprennent… Cette posture n’est pas normale. De plus, on voit qu’il a « la nuque baignant dans le cresson bleu », autrement dit, la tête à fleur d’eau… Ce n’est pas la position d’un vrai dormeur.

(On s’est beaucoup ingénié à identifier de quelle espèce botanique était ce cresson bleu… Tout ce dont on est sûr c’est qu’elle est aquatique. Appelons le cresson des poètes et laissons-le pousser dans l’imaginaire poétique…)

Pour compléter la position peu coutumière de ce « dormeur », on remarquera au premier tercet qu’il a également « Les pieds dans les glaïeuls », une plante également aquatique, autrement dit, il est quasiment dans l’eau de la tête aux pieds, pas submergé mais trempant sur une rive qui déborde un peu, en tout cas très humide. Il est par conséquent en un lieu peut être charmant mais peu propice à une éventuelle sieste, d’autant que la période n’est pas de celles où de pacifistes soldats peuvent gambader, la fleur au fusil… Toujours dans la hâte à symboliser, ce terme,« glaïeuls », conduit parfois à penser que les plantes ainsi appelées de nos jours, avec leurs feuilles gladiolées et donc très martiales d’aspect, donnent déjà une note funeste à la scène, d’autant plus qu’elles servent souvent à faire des gerbes mortuaires… Or cette espèce, chère aux fleuristes et aux cérémonials officiels, est une variété opulente qui ne pousse pas au bord des rivières ou dans les marais. Plus vraisemblablement, plus modestement et plus poétiquement aussi, Rimbaud pourrait désigner par le terme glaïeuls les iris sauvages à fleur jaune qu’autrefois l’on nommait aussi glaïeuls et qui poussent en bord d’eau. Le Littré de l’époque 1872-1877 affirme d’ailleurs ceci : « On désigne aussi sous le nom de glaïeul deux espèces du genre iris : le glaïeul des marais, iris pseudo-acorus et le glaïeul puant, iris foetidissima » cqfd.

Quoi qu’il en soit, toute cette description, contribue à engendrer un certain trouble qui va croître. On pourrait en effet présumer que le soldat dort, qu’ « il fait un somme ». Le verbe dormir est employé trois fois dans le texte. Cette répétition ponctue le poème de façon lugubre. C’est comme un deuxième rythme plus long sous jacent à celui des alexandrins, une suite de points d’orgue qui suspendent l’attention et suggèrent le pire, ce que confirme d’ailleurs la suite :

« Pâle dans son lit vert où la lumière pleut ». Ce très beau vers mérite une attention particulière car il exprime beaucoup de choses, son sens est surdéterminé. L’adjectif « Pâle » accentue l’impression de malaise et commence à ôter le doute, si jamais il y en avait un, sur le véritable état du « dormeur ». Ce « lit vert », l’herbe qui aurait pu être une couche accueillante, devient d’abord un lit de malade dans lequel semble reposer un souffrant anémié, peut être même exsangue…De la nue, nuée, nuage, (le ciel n’est donc pas bleu et serein !) … « La lumière pleut » ! Cet étrange et très original oxymore en dit long. Ce n’est pas un bain de soleil vivifiant qui réchaufferait un être transi. Symboliquement non seulement le dormeur est comme noyé dans l’élément liquide sur la rive mais, de plus, d’en haut tombe une lumière qui pleut. Ce n’est donc plus tout à fait une lumière. Cette lumière qui pleut fait penser à une lumière qui pleure, ce sont des larmes de lumière et cela participe au sentiment de tristesse qui s’impose désormais.

Au premier tercet le personnage semble sourire mais « comme sourirait un enfant malade » ce n’est donc pas le sourire de la vie. Les vers suivants préparent l’image du berceau « Nature, berce-le » qui lui-même anticipe la tombe selon le raccourci proverbial souvent utilisé « du berceau à la tombe ».Tout cela signifie ouvertement que l’homme n’est plus sensible, plus conscient. Pourrait-on croire qu’il est encore vivant malgré cette disposition, cette immobilité, cette pâleur ? De plus l’expression « il a froid » fait plus que suggérer qu’il n’est plus vivant, on ne peut être dupe, c’est le froid de la mort. MC Solaar qui est un vrai poète moderne y faisait référence dans son single de 1995, « La concubine de l’hémoglobine » dans lequel il chantait : « Le dormeur du val ne dort pas / Il est mort et son corps est rigide et froid ». Quant à l’émouvante exhortation par laquelle il est demandé de bercer « chaudement » le dormeur qui a froid, elle à toute la force d’une invocation aussi pieuse que pudique à la Mère-Nature afin qu’elle reprenne un de ses enfants dans son sein.

Le dernier tercet assume sans surprise la révélation de ce que l’on pressentait : plus de sensibilité, plus de souffle « Les parfums ne font pas frissonner sa narine », puis « Il dort ». Ce troisième et dernier tintement de glas marque l’ambivalence du fait que la mort est souvent comparée à un sommeil. Toutefois, il dort « dans le soleil », il est à noter qu’il n’est pas dit « au soleil », cela donne une autre dimension à la scène comme si maintenant le personnage était dans une gloire, mot qui a aussi le sens de lustre, éclat lumineux comme on dit « La gloire du couchant ». C’est une lumière inhabituelle qui auréole le soldat mort comme si toute la nature l’enveloppait d’un profond hommage funèbre. Dans cette lumière presque surnaturelle on peut le voir maintenant « Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change », comme dira quelques années plus tard Stéphane Mallarmé à propos d’Edgar Poe. « La main sur la poitrine » c’était peut-être son dernier geste, geste d’abandon et de résignation qui lui donne une contenance digne et respectable.

Après le rejet du mot « Tranquille » qui au début du dernier vers, maintient ce sentiment de dignité du soldat défunt, la notation finale que l’on a souvent considérée comme une chute exemplaire, ne révélant qu’au tout dernier moment le triste état du jeune conscrit tombé trop tôt aux champs d’honneur, n’est pas si abrupte, vu tout ce qui précède et qui a déjà suggéré l’état irréversible dans lequel se trouve le personnage. Mais il fallait tout de même le formuler nettement. Je verrais plutôt dans ce magnifique poème si bien composé, une sorte de progression par laquelle on comprend assez vite que le soldat est mort jusqu’à ce que cela soit exprimé par le détour d’une périphrase flamboyante qui ne l’énonce pas platement mais de façon tellement plus forte que tout autre formulation : « Il a deux trous rouges au coté droit »

Ce dernier vers est non seulement la confirmation, s’il en était besoin, de ce dont on se doutait mais surtout il met en évidence que ce n’est pas une mort normale car il est l’image d’une blessure fatale d’autant plus tragique et inacceptable qu’elle résulte de la cruauté des actions de guerre que le jeune Rimbaud dénonce en prenant le lecteur aux tripes. Au total, par cette succession de temporisations, de suggestions ménagées tout au long du texte, Rimbaud adolescent, lui même blessé et révolté contre la terrible signification de la scène dont il se remémore ou qu’il imagine, pousse dans le même refus de l’intolérable, celui d’une jeune vie fauchée dans la fleur de l’âge. Du même coup, il nous entraine dans le désaveu de l’odieuse réalité de la guerre de 1870 dont il fut contemporain et probablement aussi dans la condamnation de toute guerre…"

 

P.S. Un petit-fils qui rentre au lycée m'a dit qu'il a appris ce poème en CM1 et CM2. Avec l'accent toulousain. A Toulouse c'est du gascon. Et il est dans un collège avec cours d'occitan.

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