"Quand Nantes échangeait ses enfants abandonnés avec Angers
Au XIXe siècle, plus de 250 enfants abandonnés de Loire-Inférieure furent concernés par les échanges avec le Maine-et-Loire.
Alors que certains pays européens se posent aujourd'hui la question de la remise en place des tours d'abandon, le Nantais Éric Lhomeau publie le livre noir des enfants abandonnés.
L'idée était de lutter contre les abus autour des abandons d'enfants. Pour éviter que des mères désargentées n'abandonnent leurs enfants pour ensuite les reprendre comme nourrices et se faire rétribuer, au début du XIXe siècle des départements mirent en place un système d'échange d'enfants dont le principe fut généralisé par le ministre de l'Intérieur le 21 avril 1827. Il y en eut ainsi plus de 36 000 qui du jour au lendemain changèrent de département et de nourrices.
256 enfants en Loire-Inférieure
Cette pratique, le département de Loire-Inférieure l'avait déjà testé dès 1826. D'abord envisagée avec la Mayenne, elle fut effective avec le Maine-et-Loire. Une étude nationale datant de 1849 portant sur la période de 1830 à 1840 fait état de 173 enfants échangés pour la Loire-Inférieure. « Mais l'étude ne prend pas en compte les déplacements antérieurs » note Éric Lhomeau. Fort des documents retrouvés aux Archives départementales, ce dernier avance le chiffre plus vraisemblable de 256 enfants. Dans le même temps, des enfants venant d'autres départements ont été déplacés vers Nantes. Certains d'entre eux étaient à peine sevrés. « Un enfant de huit jours a été déplacé d'Angers à Nantes » note Éric Lhomeau. Et d'ajouter : « j'ai retrouvé des archives évoquant une enfant qui s'est laissée mourir de chagrin après avoir été déplacée ». À ces pratiques plus que barbares s'ajoutait le changement de nom de l'enfant.
À cette même époque, toujours dans l'idée de lutter contre la fraude, les enfants abandonnés devaient porter jusqu'à leurs 6 ans, un collier, avec un numéro. « Mais comme on pouvait enlever le collier, certains ont eu l'idée de leur mettre une marque à l'oreille, comme pour le bétail aujourd'hui ». Ce qui ne fut jamais appliqué !
« Une des plus cruelles inventions du génie »
Il reste que ces mesures émeuvent un certain nombre de personnes, parmi lesquelles Alphonse de Lamartine qui fort d'une contre enquête qu'il a menée en personne, fit en 1838 une déclaration remarquable à la Chambre des députés : « On peut admettre la controverse des tours, on peut y voir un encouragement à l'exposition, une prime à l'abandon, tout ce qu'on voudra. Cela peut se défendre, s'attaquer, se combattre et la solution, bien que grave, est bien loin d'avoir les épouvantables conséquences de cette barbarie raffinée des déplacements, une des plus cruelles inventions du génie, prenant des chiffres pour moralité, traitant les hommes comme des choses et les sentiments humains comme des quantités ».
Dominique Bloyet
« Le livre noire des enfants abandonnés, un petit tour et puis... s'en vont », Éric Lhomeau, Karen Roberts. 101 pages. 23 €.
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