dimanche 2 décembre 2012

Dépistage du cancer de la prostate Traduction d'un article "comment les patients peuvent-ils donner leur consentement éclairé ? "Dépistage du cancer de la prostate Traduction d'un article "comment les patients peuvent-ils donner leur consentement éclairé ? "


Copie d'un message datant de 2002, traduction d'un article de nov. 93,  publié sur le site

Dépistage du cancer de la prostate
Traduction d'un article "comment les patients peuvent-ils donner leur
consentement éclairé ? "
Kenneth G. MARSHALL (Canadian Family Physician 39 ; Nov. 93, 2385-90)

- Bonjour M. DUPOND, je vous prie d'excuser mon retard mais j'ai dû passer
du temps à expliquer à mes trois premiers patients les difficultés liées au
dépistage du cancer de la prostate.
- Pas de problème docteur, ça sera rapide pour moi, je viens seulement pour
le test de la prostate.
- Je suppose que vous parler des PSA, le dosage sanguin de l'Antigène
Prostatique Spécifique, et d'une exploration au doigt ?
- Je ne connais pas le test avec les doigts, mais je pense qu'il s'agit de
la prise de sang, celui qui vous empêche d'avoir le cancer de la prostate,
dont on parle dans les journaux ?
- C'est cela M. DUPOND, nous parlons bien du même test. Mais il ne prévient
pas le cancer, il est censé nous dire si vous en êtes atteint, ce que nous
ignorerions sans cela. L'idée est que face à un petit cancer, vous pourriez
être traité immédiatement et guéri.
- C'est formidable. Mais puisque vous êtes en retard, pourquoi ne pas me
donner tout de suite l'ordonnance pour que j'aille au laboratoire pour la
prise de sang ?
- J'ai bien peur que cela ne soit pas aussi simple. Je ferais mieux de
préciser un peu plus les choses quant aux PSA. Tout d'abord, vous pouvez
très bien avoir un cancer sans élévation du taux de PSA. Autrement dit, le
test serait normal et vous auriez pourtant un cancer.
- Je sais qu'aucun test n'est parfait, cela ne me gêne pas. Faites moi quand
même l'ordonnance et je file.
- Un instant, il y a encore autre chose : il y a un tas de gens qui ont des
PSA élevées mais pas de cancer.
- Ah bon ? Mais qu'est-ce qu'ils ont alors ?
- Souvent une prostate simplement un peu grosse, c'est très courant, les
médecins appellent ça du joli nom d'hypertrophie bénigne de la prostate.
- Bon alors si j'ai des PSA élevées, comment savez vous si j'ai un cancer de
la prostate ou seulement cette hypertrophie bénigne ?
- C'est parfois difficile. Je dois d'abord vous palper la prostate. Si je
sens un nodule, je peux vous adresser à un urologue.
- Qu'est ce qu'il me ferait ?
- Il ferait également un toucher rectal pour vérifier qu'il existe bien un
nodule suspect, et vous ferait passer une échographie avec une sonde
intrarectale pour voir s'il existe d'autres zones suspectes que l'on ne peut
palper. Une fois certain qu'il n'y en a pas d'autres, il ferait des
biopsies.
- Et comment ferait-il cela ?
- En plantant une aiguille dans votre prostate au travers du rectum.
- Houla ! Ca fait mal ?
- Je n'en sais trop rien, les urologues disent que non ou bien pas beaucoup.
- Mais que se passerait-il si mes PSA étaient augmentées et que vous ne
trouviez pas de nodule sur ma prostate ?
- Bonne question. Je vous enverrais chez l'urologue et il ferait le même
examen ainsi qu'une échographie. Si des images suspectes étaient trouvées,
il pratiquerait une biopsie. Il y serait obligé car de nombreuses images à
l'échographie ont l'air d'un cancer mais n'en sont pas. Les vrais problèmes
se posent si aucune image suspecte n'est découverte : en général on pratique
six biopsies à l'aveuglette à différents endroits de votre prostate, avec
l'idée que l'une d'elle pourrait découvrir un cancer, si vous en avez un.
Nous pratiquons ainsi car nous savons que non seulement l'échographie
surestime le nombre de cancers, mais qu'elle en laisse passer un bon nombre.
- Cela ne paraît pas très agréable. Peut-il y avoir des complications avec
vos six piqûres ?
- J'ai cru comprendre qu'il n'y en avait pas tellement. Vous pouvez avoir un
peu de sang dans le sperme pendant un certain temps, mais si vous en arrivez
là, parlez en à l'urologue.
- Je commence à m'apercevoir que c'est plus compliqué que je ne croyais,
mais je pense que de cette façon, ce serait une bonne nouvelle que de ne pas
trouver de cancer dans ces six piqûres, je serais au moins sur de ne pas en
avoir.
- Ce n'est même pas sûr. Vous n'en auriez probablement pas, mais vous ne
pourriez en être certain. L'urologue vous demanderait probablement de
contrôler vos PSA chaque année, et si elle venait à s'élever, il vous
réexaminerait et vous re-biopsierait très probablement.
- Donc ça mettrait des années avant que je sache si j'ai un cancer ou pas.
Cela va être gai de vivre avec cette idée. Il semble y avoir un tas
d'incertitude là-dessus non ?
- Oui en effet. Comme vous pouvez le constater, les examens ont leurs
inconvénients.
- Mais vous êtes certainement trop pessimiste sur tout ça. Il doit bien
apporter quelque chose d'intéressant ce test. Ne peut-on pas détecter un
cancer très tôt et le guérir ? Je veux dire que, si je fais la prise de
sang, que les PSA sont augmentées et que vous trouvez un cancer, vous pouvez
le guérir, non ? C'est bien ça n'est-ce pas ?
- C'est bien ça, en principe. Parfois, on trouve effectivement un cancer
débutant, et du moins en théorie, il peut être guéri. Cependant, même traité
à ce stade précoce, ce cancer peut récidiver et 20% des patients peuvent
mourir de leur cancer, parfois des années après. Vous devez comprendre qu'il
y a de nombreuses choses que les médecins font, qui sont fondées plus sur un
espoir que sur une réalité. Nous saurons peut être dans 10 ou 20 ans si le
dépistage a sauvé des vie, mais nous nous apercevrons peut-être du
contraire. Il semble logique de dire que les petits cancers traités
précocement guérissent toujours, mais ce n'est pas obligatoire.
Malheureusement, il n'y a pas encore d'étude prouvant que le dépistage du
cancer de la prostate sauve des vies.
- Je peux dire à vous entendre que le sujet devient même moins clair.
- Nous avons passé quelques moments ensemble et vous commencez à me
connaître. Le problème est en effet délicat. Pour commencer, quand on
réalise des tests et que l'on dépiste des cancers de la prostate, seuls la
moitié ou les 2/3 d'entre eux sont théoriquement curables. Les autres sont
déjà étendu et ne peuvent être guéris. Dans ces cas là, on a probablement
fait plus de mal que de bien en faisant un dosage des PSA. Si cela vous
arrivait, je devrais vous dire "désolé M. DUPONT, vous avez un cancer de la
prostate mais nous ne pouvons vous guérir. Si nous n'avions pas fait de
prise de sang, nous n'aurions probablement rien su de votre cancer pendant
des mois ou des années, car certaines de ces tumeurs évoluent lentement. Si,
plus tard, vous présentez des symptômes gênants, nous pourrions certainement
les traiter. Parallèlement, je serais heureux de vous revoir de temps en
temps pour vous aider à vous faire à l'idée que vous avez un cancer
inopérable.
- Mais qu'est-ce qui se passe avec les cancers opérables ? Je commence à
m'apercevoir qu'il ne doit pas y en avoir beaucoup, mais vous avez dit que
cela existe.
- Il y en a en effet. Je pense que certaines personnes peuvent être guéries,
mais là encore demeurent certaines incertitudes. Voyez vous, certains
cancers de la prostate n'évoluent pas, ou évoluent si lentement qu'ils ne
vous gêneraient jamais. Ceux-ci ne nécessitent aucun traitement. Mais nous
n'avons aucun moyen de dire lequel de ces cancers, petit ou précoce,
évoluera ou pas. En fait, à l'exception de quelques urologues anglais ou
suédois, on les traite habituellement tous et ce traitement est loin d'être
sans risque.
- J'allais justement vous en parler. Comment faites vous donc pour traiter
le cancer de la prostate ?
- Il y a deux façons de traiter un cancer de la prostate débutant avec
l'intention de la guérir. L'une est la radiothérapie, l'autre est la
chirurgie radicale de la prostate. Commençons par parler de la chirurgie. Un
certain nombre de complications peuvent survenir, mais je ne citerai que les
principales : certains patients meurent de l'opération, leur nombre varie
d'un hôpital à l'autre mais la moyenne est de 1%. Par ailleurs, 5% des
opérés auront une incontinence urinaire définitive et 30% resteront
impuissants.
- Ben dites donc, ça parait pas très encourageant. Dites moi docteur, tout
ce machin devient impossible, que pensez vous que je doivent faire ?
- Je sais que nous sommes maintenant sur ce sujet depuis un bon moment, mais
si vous souhaitez prendre une décision rationnelle et éclairée, vous avez
besoin d'informations, et vous ne les avez pas encore toutes.
- Ah bon ? je trouve que j'en ai déjà trop !
- Je conçois que cela fait beaucoup, mains nous n'avons pas discuté pour
savoir si vous vouliez que je palpe votre prostate dans le cadre du
dépistage du cancer.
- Ce n'est pas vrai, J'ai beau trouver un peu obscur ce que vous m'avez
raconté, je me souviens parfaitement que vous avez parlé de me mettre le
doigt où je pense !
- Je l'ai dit, mais en envisageant ce qui arriverait si vos PSA étaient
élevées, ce qui est différent. Toutes sortes de sociétés savantes médicales,
telles que l'American Cancer Society, et la Canadian Urological Association,
recommandent aux hommes de votre âge de faire pratiquer un toucher rectal de
leur prostate chaque année pour dépister un cancer.
- OK, je sais ce que vous allez dire : c'est recommandé, mais ce n'est pas
aussi simple.
- Je deviens absolument transparent. Vous avez raison, le toucher rectal
conduit aux mêmes problèmes que le dosage des PSA. Alors que l'on détecte
certains cancers de cette façon, personne ne sait si l'on finit par sauver
des vies humaines. D'un autre côté, certains cancers avancés sont détectés,
ce qui est dommage puisqu'il n'existe aucun traitement curatif pour eux. Par
ailleurs, sachez que la majorité des nodules que l'on palpe au toucher
rectal ne sont pas des cancers, mais que vous devrez passer systématiquement
par l'échographie et les biopsies. Enfin, de nombreux cancers passent
inaperçus avec le toucher rectal, et même si je vous en fais un et ne trouve
rien, cela ne veut pas dire que vous n'avez pas de cancer prostatique.
- Alors, qu'est-ce que je décide ?
- Je ne sais pas vraiment. Une telle décision pourrait bien être plus
philosophique que médicale. On pourrait dire que ceux qui choisissent de
faire le test on tendance à croire au Saint Graal, alors que ceux qui ne le
font pas sont fatalistes ou nihilistes. Si vous vous tournez vers des
spécialistes, vous n'irez pas bien loin car vous recevrez des avis
"autorisés" contradictoires. Un des aspects les plus intéressants de tout
cela est que l'avis que vous recevrez dépendra beaucoup de votre lieu de
résidence. Alors que quelques urologues américains affirment qu'il n'est pas
évident que le dépistage du cancer de la prostate apporte quelque chose, la
quasi-totalité des urologues des USA poussent activement au dépistage. De
nombreux urologues européens en revanche, avancent que le dépistage du
cancer de la prostate n'a pas de valeur étayée. Il y a tout de même certains
articles de la littérature médicale qui tentent de résoudre ce dilemme.
Laissez moi vous en citer deux. La première étude a été conduite par le Dr
Mold de l'université de l'Oklahoma : puisque personne n'avait jamais conclu
à un bénéfice du dépistage, son équipe a décidé de développer un programme
informatique d'analyse décisionnelle afin d'évaluer les effets probables
d'un dépistage sur l'espérance de vie et la qualité de celle-ci. Leur
conclusion a été qu'un tel dépistage augmenterait statistiquement d'un mois
la durée de la vie et diminuerait celle-ci en qualité de trois mois et demi.
La seconde étude a été réalisée par un groupe d'experts canadiens qui ont lu
la totalité de la littérature médicale sur le sujet. Leurs conclusions sont
provisoires car toutes les données ne sont pas encore disponibles. Ils ont
découvert que l'évidence pesait contre le dosage des PSA et qu'une ambiguïté
demeurait quant au toucher rectal.
- Bon, maintenant je suppose que je dois m'être fait une idée ? Je n'y
arrive pas. Je ne peux même pas me rappeler la moitié de ce que vous m'avez
raconté. C'est vous le docteur. C'est à vous de me dire ce que je dois
faire.
- Non M. DUPONT c'est à vous de décider, mais pour vous aider, je vais vous
dire ce que je ferais à votre place, je vais vous indiquer mon choix
personnel, subjectif, philosophique et inévitablement biaisé. Mais avant de
le faire, nous avons un autre sujet à aborder : Vous fumez toujours deux
paquets de cigarettes par jour ?

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