En Dordogne, les Britanniques ne mènent plus la vie de château
Migration . Les expatriés payés en livres ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 30 %.
GÉRALDINE HOUDAYER
«Lorsque le correspondant du Sunday Times a quitté notre pub, je me suis dit que ma belle-mère, qui habite le Worcestershire [ouest de l’Angleterre, ndlr], allait être ravie de voir ma photo dans son journal», rit Mathilde Bache. Tu parles ! «Elle nous a appelés, catastrophée, nous imaginant au bord de la faillite», se souvient Rupert, son mari - et associé - anglais. Dimanche, en se voyant bras dessus, bras dessous dans les pages du Sunday Times, le couple a ri jaune : le quotidien annonçait le retour au pays imminent des Britanniques installés en France.
Valises. «Le sujet était un peu surjoué pour le public anglais», lâche Rupert. En août, lui et sa femme ont racheté le pub de la place principale d’Eymet, village de Dordogne devenu l’archétype de l’expatriation des Anglais dans l’Hexagone. Et, selon le Times, à Eymet comme ailleurs en France, les factures ont atteint des sommets. Un couple aurait vu sa note d’électricité augmenter de 45 % en un an. «Les tarifs ont progressé d’environ 5 %, tempère Rupert Bache, pas plus.» Au comptoir, le barman voit défiler davantage de haussements d’épaules que de valises prêtes à franchir la Manche. Pourtant, en quelques mois, la livre sterling a perdu un tiers de sa valeur. En juillet 2007, elle valait 1,50 euro. Après être tombée à 1,30, elle a touché le fond. Et vaut désormais 1,05 euro (lire page 19). Résultat : une perte de pouvoir d’achat de 30 % pour les expatriés qui perçoivent leur revenu en livres sterling.
«C’est pour les bénéficiaires des retraites anglaises que c’est le plus difficile, confirme-t-on à l’office du tourisme d’Eymet. Ils perdent un tiers de leur pension en changeant de monnaie.» «Quelques Britanniques, arrivés récemment, souhaitent vendre leur maison pour rentrer au pays», concède Charles Gillooley, qui dirige l’agence immobilière Causses et Vézère à Thenon, également en Dordogne. «Seulement, à cause de la crise de l’immobilier, à moins de brader, c’est quasiment impossible de vendre. Surtout en plein hiver. Avec l’argent de la vente, ces gens se retrouveraient à la rue en Angleterre, où les prix restent très élevés», précise-t-il.
Luxe. «Moi, je ne compte absolument pas rentrer, rassure Caroline Haynes, arrivée à Eymet il y a seize ans. On est beaucoup plus tranquilles ici qu’à Londres. Même si la France devient très chère pour les Anglais.» Michael, son mari, est avocat à Londres. Il traverse la Manche plusieurs fois par mois. «Pour la première fois, il a remarqué que l’essence est devenue plus chère en France qu’en Angleterre», rapporte Caroline. «Parfois, j’hésite un peu sur les produits de luxe, admet-elle dans un français à l’accent bristish. On ne partira peut-être pas en vacances. Mais c’est après les fêtes que les gens vont devenir très prudents. Ça va être dur. Nos amis qui vivent sur leur pension anglaise ont déjà beaucoup de difficultés. Les touristes dépenseront moins.» Ils se feront surtout rares. «La fréquentation de l’aéroport de Bergerac pourrait sérieusement baisser l’an prochain», s’inquiète Caroline, qui est aussi bénévole à l’office de tourisme.
Avec l’arrivée, depuis quelques années, des compagnies low-cost et des liaisons directes avec Londres, Bristol, mais aussi Southampton ou Exeter, la région avait vu les Britanniques débarquer en masse. Beaucoup la surnomment «Dordogneshire». Comme dans les comtés d’outre-Manche, l’immobilier y a flambé. Les sujets de Sa Majesté se tournent désormais vers le Limousin. Ou carrément vers la Creuse, dont les prix sont encore raisonnables. «Ici, les agents immobiliers sont moroses, constate Rupert Bache. Avant, les passants s’arrêtaient tout le temps devant les vitrines des agences. Maintenant, ils poursuivent leur chemin.» «Ceux qui sont venus pour spéculer vont avoir de gros problèmes», pronostique David Johnson, de l’association Entente cordiale, qui participe à l’intégration des arrivants dans la Creuse. «Tous les Anglais savent que l’année à venir sera très difficile. Ils se serrent la ceinture. Mais bon, comparé à d’autres pays, on a encore de la chance», relativise-t-il dans une retenue toute britannique.
Paille.Car, si les expatriés anglais contactés confirment souvent que leurs amis sont dans la difficulté, eux-mêmes semblent toujours épargnés. Quant à obtenir les coordonnées de ceux qui seraient sur la paille… C’est peine perdue. Ils conservent la stiff upper lip attitude, typique des Britanniques. Traduisez très digne, même dans les moments de chagrin ou de douleur profonds. «C’est délicat d’en parler, avoue David Johnson. Tant qu’ils ne sont pas mendiants, ils ne se signaleront pas !» Si les 300 résidents britanniques d’Eymet, qui compte 2 675 habitants, ne s’épanchent pas sur la baisse du pouvoir d’achat, ils pâtiront sans doute de la crise. Pour autant, ils ne sont pas près de regagner le royaume."
Source : site de Libération
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