dimanche 22 novembre 2009

Le Festin de Babette, une analyse de Finkielkraut revue par J.P. Brighelli

" On se souvient du Festin de Babette (peut-être davantage du splendide film de Gabriel Axel, où Stéphane Audran livrait enfin la grande performance dont on savait confusément qu’elle était capable, que de la nouvelle qui l’a inspiré), où Karen Blixen confronte une communauté norvégienne confite en dévotion luthérienne à l’art culinaire français dans ce qu’il a de plus ésotérique — en l’occurrence, de la soupe à la tortue, du Pommard et des cailles en sarcophage. Babette a fui la France qui la pourchasse pour avoir participé à l’insurrection communarde. Elle se retrouve servante de gens qui ont fait de la simplicité un mode d’être et de sentir — eau fraîche et soupe de seigle à tous les repas. Elle a l’occasion de leur offrir un festin. Et voici que par la grâce de son art (un art, messieurs les pédagogues, pas une technique), elle « arrache leurs sens au sommeil », comme dit Finkie.

Et l’article décolle. On comprend que ce qui se joue là, dans la façon dont, malgré leur foi rigide, les convives réagissent au merveilleux dîner, c’est, à proprement parler, une relation pédagogique. Ou ce qu’elle devrait être.



Finkielkraut nous en dit assez pour que mon interprétation ne soit pas arbitraire — même si chacun voit midi à sa porte —, mais profondément justifiée. « Babette avait montré avec éclat, explique-t-il, que l’art a la double vertu de déployer les différences et d’attester l’unité du genre humain ». On sent venir la conclusion : « En tant que communarde, Babette a lutté les armes à la main pour l’égalité. En tant qu’artiste, elle a illustré et défendu la distinction. » Et d’enfoncer le clou : « Karen Blixen, à la fin de ce conte, crédite l’art d’avoir rétabli l’harmonie. Mais elle souligne en même temps la dissonance, le différend voire la contradiction entre les règles et les idéaux respectifs de l’art et de la démocratie. Elle montre même, avec l’exemple de Babette, quelle intensité paroxystique cette contradiction peut atteindre. Voilà sans doute la part du récit la plus indigeste pour l’esprit de notre temps. Son seul Dieu, en effet, c’est la Démocratie. Ce dieu jaloux qui a dénoncé l’idéal ascétique et qui ne supporte pas qu’on plaisante avec ses valeurs, dit partout son amour de l’art mais ne se fait pas à l’idée d’une classe cultivée, il veut la peau des héritiers, bref il déteste tout ce dont l’art, si universelle que soit sa portée, a besoin pour vivre. Au nom de la défense des droits de l’homme, il prêche l’indiscrimination, il prononce l’équivalence des formes et il décrète que tous les goûts sont dans la culture. »
http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/09/26/finkie.html

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