lundi 19 mars 2007

Dieu, un itinéraire

Mes notes sur Dieu, un itinéraire de Régis Debray, Odile Jacob, 2001

22 juillet 2004-07-22

les n° renvoient au n° de la page du livre.

« Si la langue orale est un don des dieux, l’écriture est une création humaine » Les Sumériens
p. 19

« A trop répéter que la science s’occupe du comment et la religion du pourquoi, le comment du pourquoi replonge dans le noir » p. 20

« La chaire est le centre du temple protestant car c’est l’église de la parole. L’autel est le centre de la chapelle catholique, car c’est l’église des sacrements » p. 21

« Les Sémites en tiennent pour l’unité psychosomatique de l’être humain. Préférons-les aux Grecs. En veillant à recoller l’objet au sujet, le pratique au symbolique, et l’utile à l’adorable. »

« ipsum esse subsistens » pur acte d’exister p. 22

« Veritas filia Temporis » Bernard de Chartes

« Dieu est impensable sans l’écriture essentiellement et la roue accessoirement, qui réduisent de plusieurs crans la dépendance de l’homme à l’espace naturel (la roue) et au temps naturel (l’écriture). Tardif est l’Unique parce que tardives furent ces prothèses qui renvoient à certaines manières de circuler et de mémoriser, dépendantes elles-mêmes d’écosystèmes bien particuliers. » p. 36

« L’homme descend du singe mais Dieu du signe et les signes ont une histoire longue. » p. 36

« Le boudhisme, religion sans Dieu quoique féconde en déités (et visant à l’Eveil, état proche du divin) gagne dans l’Occident postindustriel la place laissée vacante. » p. 40

« Monolâtre est qui choisit un dieu de prédilection tout en admettant l’existence de concurrents. (…) Unique pour Israël, c’est un dieu de préférence aux autres pour lui tout seul.). Unique en soi et dans l’absolu, c’en est une autre. » p. 47

« Les précurseurs sont ceux qui viennent après » Canguilhem , p. 48

« C’est en faisant jouer ses articulations, au prix de quelques petites douleurs d’amour-propre, qu’on peut se débarrasser des crampes ou faux plis de la pensée (…) » p. 50

« Même avec Dieu en haut, s’il n’y a pas d’eau en bas, il n’y a pas de monastère. » p. 52 citant un moine.

« L’accès à la transcendance n’est pas dans l’immensité des choses mais dans leur miniaturisation » p. 57

« Nos Chartreux ont leur ‘désert’ dans les contreforts alpins. Car en pays tempéré on peut mettre son Sinaï dans la neige, pourvu qu’on soit à l’écart, en combinant le stérile et l’escarpé ». p. 61

« anachorèse comme anabase, c’est passer d’un niveau inférieur au supérieur » p. 61

« Les Egyptiens avaient assez de maîtrise technique pour inventer le char, mais ils n’en avaient pas un besoin impérieux, les embarcations leur suffisaient. L’utilisation du cheval et du char n’est indispensable que sur un sol dur et plat. » p. 69

« Le nomade a le sens de la propriété mais pas celui de la frontière » p. 75

« Car la tolérance, le bien suprême, est d’abord un luxe, lequel dépend des rapports de force. » p. 76

« Gyrovague » moine errant p. 77

« Qui fuit la ville en fera tôt ou tard une autre » p. 77

« le monastère – institution ô combien paradoxale puisque dérivant de ‘moine’, monos, l’homme seul » p. 77

« Pour l’inscription au ‘patrimoine de l’humanité’, il est des supports à éviter. » p. 79

« Mais l’Unique aurait-il pu résister aux outrages et aux orages sans une lyophilisation préalable par l’écrit ? » p. 79

« Revanche du sec sur l’humide. Les palmes font la vie plus belle, les épines la font plus longue. » p. 81

« Si l’Europe médiévale avait été végétarienne, la pensée de l’Antiquité nous aurait échappé très largement, il n’y aurait pas eu d’humanités, voire d’humanisme. » p. 81

« Conseil à Prométhée : éviter les climats tropicaux ; trop de maintenant, pas assez de maintenance. », p. 82

« On ne connaît pas de société purement orale qui ait une notion de l’Eternel. Entre mythe et poésie, ces sœurs ennemies, le Dieu des Révélations jaillit en Parole, mais celle-ci ne prend force de Loi, sur la durée, que par la Lettre. L’écriture est la manufacture du Dieu unique. Qui ne s’exile pas du visible ne rencontrera pas l’Invisible, et l’écriture à son stade supérieur, l’alphabet, recèle pour nous cette vertu théologale ; elle fait décoller l’esprit du monde sensible et soustrait l’Absolu à ses circonstances. Et quand la lettre se dépose sur papyrus, elle le fait circuler du haut au bas de la tribu. Ce détournement d’un moyen d’enregistrement comptable en levier de transcendance devrait engager le Dieu psalmodié sur les voies périlleuses de l’écrit, où l’attendent en embuscade formalisation et argumentation, les prodromes de la Raison critique. » p. 85

« Le monde sémitique aura fait en somme deux dons fondamentaux à l’humanité : Dieu et l’alphabet. Qui reste, quelle que soit sa langue de traduction, l’aleph-bet, le a et le b de l’abécédaire hébreu. Nous en avons bénéficié, nous latins, via le Phénicie, qui l’a transféré au monde grec vers –1000. » p. 89

« Jésus n’a jamais rien écrit (sauf une fois, dans le sable, comme un Touareg). Socrate et Boudha non plus. Qu’est-ce que Dieu, après tout, ‘ce grand mot ténébreux tout gonflé de clarté’, disait Victor Hugo (‘le dépotoir de tous les concepts mal définis’, ajouta Gide) ? Une diphtongue. Un phonème. Et les Ecritures dans le marmonnement sans fin des invocations, une sorte d’envoûtement auditif ? » p. 90

« Ce qui est indiscutable, c’est la direction du mouvement d’ensemble, qui va dans le sens d’une compression croissante moyennant une économie de marques (plus de contenu pour moins de contenant ) » p. 95

« L’homme ne va pas du simple au compliqué, mais l’inverse. Ce délestage porte le nom de ‘progrès technique’, lequel semble poussé en avant par la loi du moindre effort (en faire moins et en avoir plus)» p. 95

« Qui réduit gagne. Progresser, c’est toujours abréger. » p. 97

« papier-monnaie, chèques, carte bleue, chiffres tapotés sur un écran. On a remplacé du lourd indivis par du maniable divisible. Du tangible par de l’intelligible. Du volumineux par de l’émincée. » p. 97

« Nos écritures successives résultent d’un dialogue évolutif entre des structures formelles et du matériel. Dans le cunéiforme, le symbole dialogue avec la terre, origine de la vie. …. » p. 99

« le codex romain, par sa forme même, rigide et carrée, valorise la limite et la clôture (…) L’Occident et ses droites, l’Orient et ses volutes… »

« l’écriture a partie liée avec l’hydraulique. Elle sourd dans les deltas ou le long des fleuves. Là où l’irrigation permet d’aller au delà de la survie au jour le jour, à condition de prévoir les crues, et d’observer les astres. » p. 107

« Culture : ce qui reste de l’agriculture quand la récolte est engrangée. Technologie d’Empire, luxe de riches. Faites pour décompter les stères de grain, les têtes de bétail, et transmettre les ordres du grand Roi. » p. 108

« Avec de bons avocats, ils pourraient déposer plainte contre l’invention alphabétique, sous trois chefs d’inculpation : une démocratisation indue, l’oppression de l’instinct par le concept, et la névrose obsessionnelle. » p. 109

« La simplification alphabétique met les mystères à portée, et place tous les observants sur un pied d’égalité. Trente ou 22 signes au lieu de quatre cents ou cinq cents, c’est maîtrisable par la tribu, et non par une élite, un clergé. (…) Ce que l’alphabet a changé dans l’économie du divin ? Il transforme un sacré ésotérique en service public. » p. 109

« Seul un texte, paradoxalement, peut décontextualiser, et par ce fait, engendrer une croyance dégagée de son inscription spatio-temporelle. »

« Imago, en latin, désignait d’abord le moulage en cire du visage de l’aïeul, que le Romain de haute lignée posait sur l’étagère ou dans une niche de son atrium. » p. 110

« L’écriture fait passer à terme de l’ontologie à la philosophie, et du psaume au sed contra scholastique. » p. 111

« Ne pas connaître les auteurs de la Bible – le Pentateuque étant attribué par convention à Moïse – en accroît la sacralité jusqu’au vertige. C’est l’argument d’autorité du « comme il est écrit », et non, « comme un tel l’a écrit, à tel endroit et tel moment ». »

« le Tétagramme (YHWH) champion toutes catégories de l’abstract »

« Pas de clergé, ni de dogme, ni d’Inquisition en société orale. » p. 114

« C’est le contact désert/syllabaire qui mit la fusée monothéiste feu » p. 115

« En chassant le volumineux, qui entrave le déplacement, l’écrit monothéiste a inventé ce prodige : un Dieu portatif. Or ses adorateurs vont bientôt arrimer la Sainte Parole à une Terre Sainte. » p. 119

« Or Dieu se juchait sur l’épingle, non sur le mastaba. Le meta est côté mini. Telle serait l’ironie de l’Infini. Il préfère les minuscules. » p. 123

« Qui ramasse anticipe. Pas de stock, pas de civilisation. (…) Qu’est-ce qu’un panier – ou une caisse flottante ? Une chose étonnante ; Un artefact (à l’origine, en vannerie) qui sert 1/ à concentrer l’éparpillé, en faisant de l’un avec du multiple, 2/ à véhiculer le tout d’un point à un autre. » p. 130

« toute histoire d’oiseau s’achève par un chat » V. Hugo, p. 147

« Ce n’est pas voir et entendre mais faire voir et écouter qui creuse la différence. Preuve qu’en matière de transmission (dans le temps) et contrairement à la communication (dans l’espace), le direct n’est pas recommandé. C’est la ‘reprise’ qui décide. Ici le ‘temps réel’ est resté sec. » p. 159

« Les chrétiens ont inventé ou intronisé le prospectus, la réclame, le tag, le best-of, l’abstract, le jingle. Et surtout le logo (…) dont le poisson au mur des catacombes reste l’emblème parfait. » p. 172

« Ce qui est cru toujours et par tous a toutes chances d’être faux » P. Valéry, p. 179

« La foi est une déception surmontée, et l’Eglise, une administration raisonnée de la déconvenue » p. 184

« Le christianisme, l’inventeur du moi, a individualisé le rapport au divin, mais s’il était resté un individualisme du salut, il aurait déjà rejoint le musée de l’Homme. » p. 190

«La médiation ecclésiale qui charge le docteur d’expliciter la parole de Dieu portait dans ses flancs une médiation discursive, et à terme rationaliste (…) Elle relativise l’absolu du texte sacré (le christianisme n’est pas un fondamentalisme de l’écrit). Abélard, saint Thomas d’Aquin et nos Universités viennent de là. Et notre classe de philosophie au lycée, scholastique retournée. » p. 194

« Si vous n’avez en stock ni doctrine ni foyer, insérez-vous au moins dans un réseau. » p. 195

« ut cum dicas nove non dicas nova : dis les choses de manière nouvelle, mais n’en dis pas de nouvelles » p. 211

« Il y aurait quelque chose de démoniaque à prétendre qu’une communauté stable puisse être pourvue de hiérarchie » Pseudo-Denys, p. 211

« Ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est sans doute ta meilleure part » Nietzsche , p. 214

« Amour de femme et de bouquin ne se chante pas au même lutrin » p. 226

« Gouverner c’est faire croire disait Hobbes repris par Churchill » p. 242

« Claustrum sine bibliotheca quasi castrum sine armamentaria » Godefroy de Sainte-Barbe, p. 252

« Tout protestant fut pape une Bible à la main » Boileau, p. 259

« Ce que sa paroisse est au catho, la famille l’est au parpaillot » p. 270

« novus ordo seclorum » Grand sceau des USA, p. 275

« Annuit coeptis » Dieu favorisa les débuts

« L’image est du domaine de la réalité. Elle ne peut absolument pas transmettre quoi que ce soit de l’ordre de la vérité » J. Ellul p. 299

« demain, quand on pourra devenir à la fois la source et la rivière » p. 304

« Pour l’heure, Père défaillant, auteur évanescent. Nous sommes tous des créateurs (créativité généralisée) ? Plus besoin de Créateur. Nous sommes tous des originaux ? Plus besoin d’Original. Quel dieu verrait la différence, sur nos réseaux numérisés, entre l’original et la copie ? La toile n’a plus besoin d’un démiurge. On peut faire œuvre en brodant. Comment identifier l’auteur d’un texte électronique ou d’un visuel-écran ? » p. 306

« Nos talismans et goupillons, c’est le 18 au téléphone. Ils s’appellent Samu, police-secours, pompiers, sauvetage en mer, etc. » p. 320

« Le Christ était appelé ‘ordinateur’ au XIIIe siècle, terme que Malbranche appliqua également à Dieu. Celui qui dispose les choses suivant un ordre, un rang de succession (…) et auquel nous sommes tous ordonnés (ou subordonnés). » p. 336



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