« Le prestige de l’
opéra, que rien n’a pu entamer en moi au long de ma vie, s’est nourri dès le début pour une large part de l’aura dont il nimbait ainsi tout un quartier. (…) Et, dans la lumière inchangée de ces années de Nantes, si j’ai par la suite accordé beaucoup à la littérature, je n’ai jamais pu lui concéder la puissance d’effraction incomparable, le pouvoir de cerner et d’investir totalement une sensibilité, qui sont ceux de l’opéra dans ses moments vraiment magiques. »
« Il est curieux que le
passage Pommeraye, qui reste la singularité la plus marquante du quartier, et qui donne si spontanément à rêver (en commençant par André Pieyre de Mandiargues) à ses visiteurs non prévenus, n’ait pas tenu davantage de place dans l’équilibre du paysage imaginaire, à demi-rêvé, à demi-habité, qui naissait pour moi de la prospection décousue de la ville. La séduction liée, dans une cité, aux « passages », a des affinités érotiques qui sont de structure, et évidentes (…) Pourtant.. ! il n’est pas d’image de la ville qui s’imprime dans la mémoire avec une netteté aussi photographique, aussi tranchante. »
« Toute
promenade vers le sud de Nantes est doublement une marche vers le soleil. Il n’y a aucune ressemblance entre les froids bocages, la verdure csombre, les toits d’ardoise, les villages sans vie, la ruralité pesante et massive des campagnes qui murent la ville du côté du nord, et les coteaux à vignes du pays Nantais que le beau nom rabelaisien du village de la Haie-Fouassière semble baptiser (…) les beaux ombrages de la Sèvre, l’élégance toscane de Clisson. »
«
L’Erdre, avalée aujourd’hui à l’extrêmité nord du cours St-André par la voûte d’un tunnel, et rendue à l’air libre au long de l’usine Lefèvre-Utile par le canal St-Félix – qui fait penser davantage au débouché discret d’un grand collecteur qu’à un cours d’eau – s’est absentée aujourd’hui du centre de Nantes »
« Dès le
Port-Communeau, l’encombrement chinois de la rivière par tous les calibres de la menue batellerie fait contraste avec la Loire déserte. »
« Je n’ai visité la
cathédrale, pour y voir le tombeau de François II, qu’à vingt-cinq ans, et le château de Nantes, admiré de Henri IV (je ne sais si je dois rougir d’une telle indifférence aux trois étoiles du bâtiment) jamais. »
« En fin de compte, le manque de solidité dans son assise locale a, selon mon jugement, beaucoup servi Nantes. Quand il s’agit de la lier à une mouvance territoriale, la ville semble fuir entre les doigts.
Ni réellement bretonne, (…), ni vraiment vendéenne, elle n’est même pas ligérienne, malgré la création artificielle de la région des « Pays de la Loire », parce qu’elle obture, plutôt qu’elle ne le vitalise, un fleuve inanimé. »
Julien Gracq, La forme d’une ville, José Corti, 1985, ISBN : 2-7143-032-1
Ces écrits valent bien des photos. Non ? Relisez Jacquart.
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