"– Nous manquons de matériel, dit-il. Dans toutes les
armées du monde, on remplace généralement le manque
de matériel par des hommes. Mais nous manquons
d’hommes aussi.
armées du monde, on remplace généralement le manque
de matériel par des hommes. Mais nous manquons
d’hommes aussi.
– Il est venu des médecins de l’extérieur et du
personnel sanitaire.
– Oui, dit Rieux. Dix médecins et une centaine
d’hommes. C’est beaucoup, apparemment. C’est à peine
assez pour l’état présent de la maladie. Ce sera insuffisant
si l’épidémie s’étend. "
"– Qu’est-ce que l’honnêteté ? dit Rambert, d’un air
soudain sérieux.
– Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans
mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier. "
"Mais, en fait, on
pouvait dire à ce moment, au milieu du mois d’août, que la
peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de
destins individuels, mais une histoire collective qui était la
peste et des sentiments partagés par tous "
"Ainsi, en ce qui concerne le
service de Rieux, l’hôpital disposait à ce moment de cinq
cercueils. Une fois pleins, l’ambulance les chargeait. Au
cimetière, les boîtes étaient vidées, les corps couleur defer étaient chargés sur les brancards et attendaient dans
un hangar, aménagé à cet effet. Les bières étaient
arrosées d’une solution antiseptique, ramenées à l’hôpital,
et l’opération recommençait autant de fois qu’il était
nécessaire. L’organisation était donc très bonne et le
préfet s’en montra satisfait. Il dit même à Rieux que cela
valait mieux en fin de compte que les charrettes de morts
conduites par des nègres, telles qu’on les retrouvait dans
les chroniques des anciennes pestes.
– Oui, dit Rieux, c’est le même enterrement, mais
nous, nous faisons des fiches. Le progrès est incontestable"
Le lendemain, les parents étaient
invités à signer sur un registre, ce qui marquait la
différence qu’il peut y avoir entre les hommes et, par
exemple, les chiens : le contrôle était toujours possible
À la vérité, tout leur devenait présent. Il faut
bien le dire, la peste avait enlevé à tous le pouvoir de
l’amour et même de l’amitié. Car l’amour demande un
peu d’avenir, et il n’y avait plus pour nous que des
instants.
Des épouses lui prenaient le
poignet et hurlaient : « Docteur, donnez-lui la vie ! » Mais
il n’était pas là pour donner la vie, il était là pour ordonner
l’isolement. À quoi servait la haine qu’il lisait alors sur lesvisages ? « Vous n’avez pas de cœur », lui avait-on dit un
jour. Mais si, il en avait un. Il lui servait à supporter les
vingt heures par jour où il voyait mourir des hommes qui
étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous
les jours. Désormais, il avait juste assez de cœur pour ça.
Comment ce cœur aurait-il suffi à donner la vie ?
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