jeudi 23 février 2023

Insultes, malédictions et imprécations dans le monde romain, ou l'art de l'injure antique

 Nous recopions les tweets d'un linguiste qui a passé sa thèse à Limoges.

@Hugorodru
Hugo Blanchet, docteur en linguistique ancienne, contributeur du , agrégé de grammaire pour faire des blagues en latin. Je cherche des étymologies
 

 


Nouveau thread sur les graffiti de Pompéi, sur un sujet encore subtil et délicat, au cœur des fondements invariables de l'humanité : insultes, malédictions et imprécations dans le monde romain, ou l'art de l'injure antique !

Comme nous l’avons vu précédemment, les fameux cacatores occupent certes une bonne part des préoccupations des citoyens de Pompéi ; mais, quand nulle citerne ou mur public n’est en danger, on n’arrête pas pour autant de s’insulter avec joie !

[Sur ce blog vous trouverez des photos d'inscriptions modernes trouvées en Italie, en latin et en Italien]

Commençons, pour donner le ton, avec cette insulte d’une rare violence : - Epaphra glaber es ; soit, littéralement : « Epaphras, t’as pas de pooiils !! ». Ça fait mal hein. Ce n’est que le début.

Enchaînons avec une inscription pleine de rebondissements. Sur la première ligne on lit: Agato Herrenni serus rogat Venere: "Agathon esclave de Herrennius prie Venus" ; or juste en dessous, on a ajouté d’une main tremblante: ut periat rogo "bah moi je prie pour qu’Agato il CRÈVE"

La personne visiblement déçue par ledit Agathon semble avoir été vite reconnue par l’intéressé, qui a ajouté, juste en dessous : salve Gutta : « ha coucou Gutta. ».

L’étonnante impiété de ce détournement d’une prière à Vénus n’est pas un exemple isolé de témoignage d’amertume envers la déesse de l’amour, comme l’indique ces vers : Quisquis amat veniat Veneri volo frangere costas "qu’ils viennent, les amoureux : Vénus, j’lui pète les côtes"

(La suite s'améliore pas : fustibus et lumbos debilitare deae / si potest illa mihi tenerum pertundere pectus / quit ego non possim caput illae frangere fuste : « j’lui casse les reins à coup de bâton, si elle peut briser mon cœur tendre pourquoi je lui briserais pas sa tête ?»)

Mais les insultes n’ont pas toujours cette verve poétique et sont bien souvent plus laconiques, dans le genre : Or te egrotes « je PRIE pour que tu crèves », ou bien : Fuibus egrotes « Crève, Phoebus. », ou juste : Egrota. Egrota. Egrota, soit « Crève, Crève. Crève ! » 

 

Dans le même genre que celle d’Agathon : une première main a écrit : Glove dicet Sympore vale « Chloé dit coucou à Symphora ! » et quelqu’un d'autre a ajouté à côté : Naevos male periat opordet « Naevus dit qu’elle ferait carrément mieux de crever ». 

Mais on peut même s’en prendre aux gens déjà morts ! ainsi, sur la tombe d’un certain Caius Rarus, on trouve : C. Raro male eveniat « puissent les choses mal tourner pour Rarus » (qui est mort, hein). Sur la même tombe : Raro infeliciter « bien du malheur pour Rarus ! » 

Trois courtes attaques : le fameux in cruce figarus : "va te faire crucifier !", tout aussi expéditif que ce court avertissement : Samius Cornelio suspendre : « de Samius, à Cornelius : va te pendre »., ou encore : Macer cerebri moti : "Macer, t'as le cerveau qui vrille" 

Hormis les menaces, il est également d’usage d’affubler ses adversaires d’appellations fleuries, « espèce de cadavre » étant un incontournable, ainsi : cadaver mortus « vieux cadavre crevé », ou : tu mortus es, tu nugas es « t’es décédé mec t’es plus rien !"

Enfin, cette intemporelle formule, reprise dans les plus fines œuvres de la culture populaire (j’espère que vous l’avez) : Sporus omo mortus « Sporus, t’es un homme mort ! »
Mais les insultes peuvent être plus imagées et refléter une véritable exaspération, ainsi : Oppi emboliari fur furuncule : « Oppius sale bouffon de voleur espèce de furoncle ! »

Je finis avec cette blagounette d’un petit farceur : sur une inscription à la gloire de Romulus, légendaire fondateur de Rome, ROMVLVS CALOS « vive Romulus », quelqu’un a rajouté un petit v, d’où ROMVLVS CALvOS = « Romulus le chauve mdrrr »
 
Et les sources : An Introduction to Wall Inscriptions from Pompeii and Herculaneum, de Rex. E. Wallace ; le Corpus Inscriptionum Latinarum & le site Epigraphische-Datenbank Clauss - Slaby)

En rab, inscriptions à plusieurs mains : 1 - Successus textor amat Coponiaes ancilla/nomine Hiredem quae quidem illum non curat sed ille rogat illa com(m)iseretur/scribit rivalis vale :
"Successus le tisserand aime une servante de Coponia : elle s'appelle Iris et elle s'en fout de lui, mais il insiste pour attirer sa pitié, signé : un rival" 2 - invidiose quia rumperas secare noli formonsiorem // et qui est homo pravessimus et bellus :
"tu es peut-être jaloux mais ne t'attaque pas à quelqu'un de plus beau, un homme bien plus courageux et charmant" 1 - Dixi scripsi amas Hiredem / quae te non curat / Successo /ut su[p]ra/ Severus :
"Je l'ai DIT, je l'ai ECRIT ; tu aimes Iris et elle s'en fout de toi, signé : Severus qui vaut bien mieux que Successus"  
 
Ah, un ajout important, trouvé sur un mur de la basilique de Pompéi : Chie opto tibi ut refricent se ficus tuae ut peius ustulentur quam ustulatae sunt "Chius ! Je souhaite que tes hémorroïdes te démangent à nouveau ! Qu'elles brûlent comme jamais elles n'ont brûlé !" 
 
Il semble d'ailleurs que le pauvre Chius ne s'en est pas remis, comme le montre l'inscription suivante non loin: Pyrrhus Chio conlegae sal moleste fero quod audivi te mortuom itaqe val "Pyrrhus à son collègue Chius: j'ai appris avec grand peine que tu étais mort, adieu alors" 
 
Un lecteur rappelle cette chanson de Georges Brassens
 
Si vous y tenez tant parlez-moi des affaires publiques
Encore que ce sujet me rende un peu mélancolique
Parlez-m'en toujours je n'vous en tiendrai pas rigueur
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Fi! des chantres bêlant qui taquine la muse érotique
Des poètes galants qui lèchent le cul d'Aphrodite
Des auteurs courtois qui vont en se frappant le cœur
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Naguère mes idées reposaient sur la non-violence
Mon agressivité je l'avait réduite au silence
Mais tout tourne court ma compagne était une gueuse
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Ancienne enfant trouvée n'ayant connu père ni mère
Coiffée d'un chap'ron rouge ell' s'en fut ironie amère
Porter soi-disant une galette à son aïeule
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Je l'attendis un soir je l'attendis jusqu'à l'aurore
Je l'attendis un an pour peu je l'attendrais encore
Un loup de rencontre aura séduite cette fugueuse
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Cupidon ce salaud geste chez lui qui n'est pas rare
Avais trempé sa flèche un petit peu dans le curare
Le philtre magique avait tout du bouillon d'onze heures
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Ainsi qu'il est fréquent sous la blancheur de ses pétales
La marguerite cachait une tarentule, un crotale
Une vraie vipère à la fois lubrique et visqueuse
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Que le septième ciel sur ma pauvre tête retombe
Lorsque le désespoir m'aura mis au bord de la tombe
Cet ultime discours s'exhalera de mon linceul
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois
 
https://www.youtube.com/watch?v=ddJLbCWgnRM&t=201s 

 



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