Nous recopions les tweets d'un linguiste qui a passé sa thèse à Limoges.
Nouveau thread sur les graffiti de Pompéi, sur un sujet encore subtil et délicat, au cœur des fondements invariables de l'humanité : insultes, malédictions et imprécations dans le monde romain, ou l'art de l'injure antique !
Comme nous l’avons vu précédemment, les fameux cacatores occupent certes une bonne part des préoccupations des citoyens de Pompéi ; mais, quand nulle citerne ou mur public n’est en danger, on n’arrête pas pour autant de s’insulter avec joie !
[Sur ce blog vous trouverez des photos d'inscriptions modernes trouvées en Italie, en latin et en Italien]
Commençons, pour donner le ton, avec cette insulte d’une rare violence : - Epaphra glaber es ; soit, littéralement : « Epaphras, t’as pas de pooiils !! ». Ça fait mal hein. Ce n’est que le début.
Enchaînons avec une inscription pleine de rebondissements. Sur la première ligne on lit: Agato Herrenni serus rogat Venere: "Agathon esclave de Herrennius prie Venus" ; or juste en dessous, on a ajouté d’une main tremblante: ut periat rogo "bah moi je prie pour qu’Agato il CRÈVE"
La personne visiblement déçue par ledit Agathon semble avoir été vite reconnue par l’intéressé, qui a ajouté, juste en dessous : salve Gutta : « ha coucou Gutta. ».
L’étonnante impiété de ce détournement d’une prière à Vénus n’est pas un exemple isolé de témoignage d’amertume envers la déesse de l’amour, comme l’indique ces vers : Quisquis amat veniat Veneri volo frangere costas "qu’ils viennent, les amoureux : Vénus, j’lui pète les côtes"
(La suite s'améliore pas : fustibus et lumbos debilitare deae / si potest illa mihi tenerum pertundere pectus / quit ego non possim caput illae frangere fuste : « j’lui casse les reins à coup de bâton, si elle peut briser mon cœur tendre pourquoi je lui briserais pas sa tête ?»)
Mais les insultes n’ont pas toujours cette verve poétique et sont bien souvent plus laconiques, dans le genre : Or te egrotes « je PRIE pour que tu crèves », ou bien : Fuibus egrotes « Crève, Phoebus. », ou juste : Egrota. Egrota. Egrota, soit « Crève, Crève. Crève ! »
Dans le même genre que celle d’Agathon : une première main a écrit : Glove dicet Sympore vale « Chloé dit coucou à Symphora ! » et quelqu’un d'autre a ajouté à côté : Naevos male periat opordet « Naevus dit qu’elle ferait carrément mieux de crever ».
Mais on peut même s’en prendre aux gens déjà morts ! ainsi, sur la tombe d’un certain Caius Rarus, on trouve : C. Raro male eveniat « puissent les choses mal tourner pour Rarus » (qui est mort, hein). Sur la même tombe : Raro infeliciter « bien du malheur pour Rarus ! »
Trois courtes attaques : le fameux in cruce figarus : "va te faire crucifier !", tout aussi expéditif que ce court avertissement : Samius Cornelio suspendre : « de Samius, à Cornelius : va te pendre »., ou encore : Macer cerebri moti : "Macer, t'as le cerveau qui vrille"
Si vous y tenez tant parlez-moi des affaires publiques Encore que ce sujet me rende un peu mélancolique Parlez-m'en toujours je n'vous en tiendrai pas rigueur Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Fi! des chantres bêlant qui taquine la muse érotique Des poètes galants qui lèchent le cul d'Aphrodite Des auteurs courtois qui vont en se frappant le cœur Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Naguère mes idées reposaient sur la non-violence Mon agressivité je l'avait réduite au silence Mais tout tourne court ma compagne était une gueuse Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Ancienne enfant trouvée n'ayant connu père ni mère Coiffée d'un chap'ron rouge ell' s'en fut ironie amère Porter soi-disant une galette à son aïeule Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Je l'attendis un soir je l'attendis jusqu'à l'aurore Je l'attendis un an pour peu je l'attendrais encore Un loup de rencontre aura séduite cette fugueuse Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Cupidon ce salaud geste chez lui qui n'est pas rare Avais trempé sa flèche un petit peu dans le curare Le philtre magique avait tout du bouillon d'onze heures Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Ainsi qu'il est fréquent sous la blancheur de ses pétales La marguerite cachait une tarentule, un crotale Une vraie vipère à la fois lubrique et visqueuse Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois Que le septième ciel sur ma pauvre tête retombe Lorsque le désespoir m'aura mis au bord de la tombe Cet ultime discours s'exhalera de mon linceul Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule Sauf le respect que je vous dois
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