vendredi 7 février 2014

La smorfia napolitaine et la pseudo-science de Freud, un texte de Dominique Fernandez

"D'où ce compromis de la smorfia, compromis pathétique, puisque à ce comble d'irrationalité se réduit l'unique effort de rationalisation napolitain ; mais compromis efficace, qui fond dans une synthèse harmonieuse l'incapacité de se conduire selon la raison et l'aspiration à sortir du chaos existentiel.
Harmonieuse ? Disons plutôt : folle à son tour, et surréaliste. Freud avait pris l'habitude de noter tous ses rêves, et certains rêves de ceux qui venaient le consulter : pour tirer de l'ensemble de ces divagations nocturnes un système complet de l'inconscient humain. Traumdeutug, appela-t-il le gros livre qui sortit de ce travail de décodage et de classification. Une sorte de "science des rêves", ou du moins un embrigadement du songe qui prétend être science. D'après Freud, l'horloge et son tic-tac se rapporteraient à une phobie du père, les dents signifieraient l'angoisse de castration : lugubres analogies professées comme vérités d'évangile. Avec l'entêtement de celui qui a été formé à la double école de la médecine et de la philosophie, le docteur autrichien veut tout expliquer par la misère sexuelle des patients qui constituent sa clientèle, tout rattacher à la frustration de ces bourgeois.
Qu'est-ce que son système, sinon une smorfia intellectualisée, alourdie de présomption doctorale, faussée par l'atmosphère de Vienne ? Et qu'est-ce que la smorfia, sinon une "science des rêves" spontanée, instinctive, populaire, c'est-à-dire une négation chatoyante de toute science, un pur hymne aux forces magiques qui viennent nous hanter, pendant la nuit, lors du sommeil de la raison, nous guérir des déboires subis durant la journée, apportant le courage de vivre et la joie d'espérer ? Les dents, angoisse de castration ? Allons donc ! Pourquoi pas l'envie de mordre dans un fruit, dans une épaule ? Appétit mandibulaire ou désir érotique, le songe napolitain a plus d'allant, plus de gaieté que dans la sinistre vulgate de la Bergstrasse. "

Dominique Fernandez, Le voyage d'Italie, Plon

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