Abélard, Sherlock Holmes du XIIe siècle ?
Jérôme Rival
Jérôme Rival, professeur agrégé d’histoire-géographie-EMC au collège de St-Romain le Puy, et membre du CA de l’Association Culturelle Pierre-Abélard (Le Pallet)
« Je suis enquêteur par
penchant. Je ressens une grande soif de connaissance. » (Emmanuel Kant)
« Nulle part la déduction n'est plus nécessaire que dans la religion
[...] Le logicien peut en faire une science exacte ». Cette phrase
aurait pu être prononcée par un illustre maître parisien du XIIe siècle,
à moins qu'il ne s'agisse d'une phrase tirée de romans
prenant place en 1327 dans une abbaye bénédictine du Nord de l'Italie
ou dans l'Angleterre victorienne de la fin du XIXe et du début du XXe
siècles ... La fiction rejoint parfois la réalité et c'est bien le
fameux détective britannique Sherlock Holmes qui formule
cette sentence dans une nouvelle écrite par son créateur, l'Ecossais
Arthur Conan Doyle. D'une figure de papier, le romancier Umberto Éco a
imposé à son tour un autre personnage littéraire, Guillaume de
Baskerville, sorte de Sherlock Holmes du XIVe siècle,
dont le patronyme est un hommage appuyé de l'auteur italien à la plus
célèbre aventure policière écrite par Conan Doyle, Le chien des
Baskerville (1902), mettant en scène son célèbre héros, à la faculté
d'observation et de déduction sans pareilles. Dans Le
Nom de la Rose (1982), il fait également écho à des personnages ayant
réellement existé : le prénom de Guillaume est ainsi un clin d'œil au
philosophe franciscain William - en anglais - d'Ockham (vers 1285-1347).
De manière plus discrète, il fait aussi référence
au philosophe et théologien Pierre Abélard (1079-1142), qui apporte son
écot dans le roman à plusieurs reprises. Guillaume d'Ockham et avant
lui Pierre Abélard sont traditionnellement considérés comme les
représentants les plus éminents du nominalisme médiéval.
Ancien inquisiteur, le personnage de Guillaume de Baskerville ne jure
que par l'usage de la Raison, faisant le pont entre Pierre Abélard et
Sherlock Holmes. Mais quel intérêt de comparer deux personnages fictifs à
un homme de chair et de sang, ayant vécu il
y a 900 ans ? Constant Mews s'est déjà attaché à montrer que Pierre
Abélard peut être considéré comme une sorte de Jérôme du XIIe siècle
mais il s'agit d'une comparaison avec un personnage réel, un Père de
l'Eglise.
Il n'empêche : Abélard a aussi fabriqué son moi (son double ?)
littéraire dans son Historia Calamitatum (Histoire de mes malheurs, vers
1132), moins une autobiographie qu'un storytelling, la confession
magistralement opérée de sa conversion. En somme, au-delà
de la facétie d'un amateur holmésien, dressant la liste des
ressemblances et des différences, pourquoi pas, par la comparaison avec
le célèbre enquêteur, esquisser une grille de lecture de l'ouvrage où
Abélard expose sa méthode, le Sic et non (vers 1125),
où il s'efforce de concilier les contraires.
Alors si comparaison - savamment orchestrée par Umberto Éco dans son
roman - n'est certes pas raison, osons le parallèle entre la création de
Conan Doyle et la gloire des écoles parisiennes, en posons la question
d'un Abélard, possible Sherlock Holmes du XIIe
siècle ? De facto, acceptons l'augure de reproches déjà fondés, parmi
lesquels deux pourraient émerger. D'une part, celui de l'anachronisme
(mais toute Histoire fabriquée depuis la tour d'ivoire ou plutôt le
phare de son époque ne l'est-elle pas nécessairement
?). D'autre part, d'une concordance, quelque peu factice, sinon des
temps du moins entre deux protagonistes que sépare le Rubicon de la
substantielle existence ? Alea jacta est."
A écouter et à voir :
Il est temps de faire un billet de blog sur le fils d'Héloïse et Abélard ! on peut le dire aujourd'hui. Ils ont eu un fils, et l'ont nommé Astrolabe ! vous n'apprendrez pas ça sur Touiteur ou X !
Lançons le prénom Abélard !


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