"M. Yves Meyer. [...]
Je ne résiste pas à vous raconter une anecdote significative des problèmes auxquels nous sommes confrontés en France. J’avais compris les enjeux de l’imagerie numérique dès la fin des années quatre-vingt, lorsque je me suis lancé dans les mathématiques appliquées. C’est alors que Thomson, en 1987, m’a convié au centre de recherche de Corbeville. J’y ai fait un exposé d’une heure, après quoi le directeur du centre de recherche – dont j’ai heureusement oublié le nom – m’a invité à déjeuner, avec tous les participants. À la fin du repas, il m’a tenu les propos suivants : « Un, je ne crois pas à votre histoire d’imagerie numérique ; Thomson fabrique la meilleure image analogique du monde et va imposer son procédé SECAM à toute la planète. Deux, nous envisageons d’arrêter de faire de la recherche et développement car nous avons découvert que la spéculation en bourse rapporte beaucoup plus d’argent. Trois, si, par hasard, vous aviez raison, nous achèterions le brevet aux Américains. » Dix ans après, Thomson faisait faillite. L’explication de la réponse étrange que j’avais reçue m’a été donnée : l’entreprise, alors dirigée par Alain Gomez,
avait signé avec l’Arabie saoudite un contrat d’armement faramineux et avait beaucoup d’argent à placer, avec des perspectives de rentabilité bien supérieures à celles offertes par la R&D, ce qui la poussait au crime, en quelque sorte. Ses dirigeants avaient donc décidé de tracer une croix sur l’évolution que je leur annonçais, le fait que l’imagerie numérique allait s’imposer. Pour un mathématicien, il est assez extraordinaire de constater que sa vision est bien plus prospective que celle de personnes qui se prennent pour les gardiens de la vérité du temple, c’est-à-dire les industriels. Cela traduit le caractère un peu conflictuel des relations que nous entretenons avec eux.
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