Un ancien collègue toujours en activité m'écrit :
Aujourd'hui, nous lisons une page de Jacques Le Goff, "Les Intellectuels
au Moyen Age", éd. Seuil, coll. Point Histoire, 1957. Et en lisant ces
lignes, ayons une pensée pour nos étudiants qui grattent sur le papier ce
que nous leur dictons, sans rien y comprendre...
***
Les moines qui écrivent [les livres] laborieusement dans les scriptoria
des monastères ne s'intéressent que très secondairement à leur contenu !
L'essentiel, pour eux, est l'application mise, le temps consommé, les
fatigues subies à les écrire. C'est oeuvre de pénitence qui leur vaudra le
ciel. D'ailleurs, suivant ce goût pour l'évaluation tarifée des mérites et
des peines, que l'Eglise du Haut Moyen Age a emprunté aux législations des
Barbares, ils mesurent au nombre de pages, de lignes, de lettres, les
années de purgatoire rachetées ou, à l'inverse, se lamentent de
l'inattention qui leur a fait, en sautant telle lettre, accroître leur
séjour en purgatoire. Ils légueront à leurs successeurs le nom de ce
diablotin spécialisé à les taquiner, le démon TITIVILLUS des copistes,
qu'évoquera Anatole France.
La science, pour les chrétiens chez qui sommeille le barbare, c'est un
trésor. Il faut le garder soigneusement. Culture fermée, à côté de
l'économie fermée. La renaissance carolingienne (XIIe s.) au lieu de
semer, thésaurise. Peut-il y avoir une renaissance avare ?
(...)
Il ne faut pas non plus s'étonner que ces maîtres, qui sont des clercs, et
de bons chrétiens, préfèrent comme "text-book" Virgile à l'Ecclésiaste,
Platon à St Augustin. Ce n'est pas seulement parce qu'ils sont persuadés
que Virgile et Platon sont aussi riches d'enseignements moraux que la
Bible et les Pères, c'est parce que l'Enéide ou l'Apologie de Socrate sont
pour eux davantage et d'abord des livres scientifiques - c'est-à-dire
particulièrement propres à être objet d'enseignement spécialisé,
technique, technologique. Pour les moines, les Grecs et les Romains sont
des "spécialistes", et le Moyen Age occidental va admirer sans réserve
leurs traités sur l'art de construire de ponts, sur l'ordre des batailles,
ou encore les recueils de recettes de confitures. (...) L'enseignement
technologique était né !
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