dimanche 11 septembre 2011

Cette âpreté de gain, ce prurit de lucre

" Cette âpreté de gain, ce prurit de lucre, s'étaient aussi répercutés dans
cette autre classe qui s'était constamment étayée sur la noblesse, dans le
clergé. Maintenant on apercevait, au quatrièmes pages des journaux, des
annonces de cors aux pieds guéris par un prêtre. Les monastères s'étaient
métamorphosés en des usines d'apothicaires et de liquoristes. Ils
vendaient des recettes ou fabriquaient eux-mêmes : l'ordre de Cîteaux, du
chocolat, de la trappistine, de la semouline et de l'alcoolature d'arnica
; les frères maristes du biphosphate de chaux médicinal et de l'eau
d'arquebuse ; les jacobins de l'élixir anti-apoplectique ; les disciples
de saint Benoît, de la bénédictine ; les religieux de saint Bruno, de la
chartreuse.

Le négoce avait envahi les cloîtres où, en guise d'antiphonaires, les
grands livres de commerce posaient sur des lutrins. De même qu'une lèpre,
l'avidité du siècle ravageait l'Eglise, courbait des moines sur des
inventaires et des factures, transformait les supérieurs en des confiseurs
et des médicastres, les frères lais et les convers, en de vulgaires
emballeurs et de bas potards.

(...) [Pour faire des économie] les moines étaient allés plus loin. Les
substances sans lesquelles aucune oblation n'était possible avaient, elles
aussi, été dénaturées : le vin, par de multiples coupages, par d'illicites
introduction de bois de Fernambouc, de baies d'hièbe, d'alcool, d'alun, de
salicylate, de litharge ; le pain, ce pain de l'Eucharistie qui doit être
pétri avec la fine fleur des froments, par de la farine de haricots, de la
potasse et de la terre de pipe !
Maintenant enfin, on avait osé supprimer complètement le blé et d'éhontés
marchands fabriquaient presque toutes les hosties avec de la fécule de
pomme de terre. Or, Dieu se refusait à descendre dans la fécule ! "
A Rebours, Huysmans

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