dimanche 22 novembre 2009

Du football comme metaphore (le dernier message de J.P. Brighelli)

Conjuguez-moi le verbe « jouer au foot dans la cour de l’école… »

• Nous jouions au foot dans la cour de l’école…
• Vous avez joué au foot dans la cour de l’école…
• Ils jouent au foot dans la cour de l’école…
• Ils joueront au foot dans la cour de l’école…

Bien sûr, nous avions adapté les règles. L’exiguïté de la cour, par exemple, interdisait d’appliquer celle du hors-jeu. Les poteaux, inexistants, étaient remplacés par des cartables posés au sol, en gros à trois pas de distance. Le nombre parfois inadéquat de joueurs nous avait amenés à inventer la notion de « goal volant » — goal et attaquant en même temps.

D’ailleurs, il n’y avait que des attaquants, dans ces équipes…

Lesdites équipes étaient constituées par les deux meilleurs. Aucune hésitation d’ailleurs sur qui étaient les deux meilleurs : en ces temps où l’OM avait des joueurs qui étaient des artistes, comme Skoblar ou Magnusson, et non des caisses enregistreuses, les « meilleurs » étaient des dribbleurs — un peu perso, peut-être, mais au déhanchement ravageur. Chacun d’eux, à tour de rôle, choisissait un équipier parmi les volontaires au match : l’idée générale était d’équilibrer les équipes, pas de flanquer une raclée mémorable à une équipe de brêles — ainsi disions-nous…

Je vous parle bien sûr de temps très anciens. Aujourd’hui, les modèles ont changé — ils changent même très vite, au gré des médias. Plus personne ne s’identifie à Platini ou à Zidane — des grands-pères —, Ronaldo est oublié, Ronaldinho en passe de l’être. Sans cesse de nouvelles stars montent au firmament télévisuel.

Et j’ai bien peur que certains se prennent, dès la semaine prochaine, pour Thierry Henry. « Main ! T’as fait main ! » — pas grave, dorénavant : c’est permis par la FIFA, par Domenech, par le Président de la République, et quelques autres instances grasses du bide. C’est permis en tout cas par TF1, qui ne pouvait pas se permettre de laisser filer un match dont dépendait l’essentiel de son retour sur investissement — un peu plus de 120 millions d’euros, cherchez donc à qui profite le crime (1) — pour la prochaine Coupe du monde. « Le facteur économique est déterminant en dernière instance… » Et encore, Marx ne connaissait pas le foot.

« Panem et circenses », c’était la devise à tout faire des dictateurs romains. Aujourd’hui, les allocs, le RMI et le foot. Comme disent les Britanniques — et en français s’il vous plaît : « Plus ça change… »

Que le football soit un sport pourri des pieds à la tête, nous le savions. Que l’on y refuse l’arbitrage vidéo, qui marche fort bien au rugby, parce que cela permet les « erreurs d’arbitrage » heureuses et lucratives, c’est significatif, mais logique : c’est un sport de voyous joué par des voyous, filmé par des voyous. Le problème, c’est qu’il est et reste exemplaire pour des dizaines de millions d’enfants, et que les joueurs sont des modèles pour ces mêmes mômes. Hier, le coup de tête de Zidane à Materazzi — et il faut voir la mimique d’un Domenech, indigné qu’on expulse un joueur coupable d’une brutalité gratuite et manifeste (2), pour apprécier ses commentaires aujourd’hui sur la dernière extorsion de l’équipe de France (3).

Ils en penseront quoi, à votre avis, dans les cours de récréation ? Qu’il faut rejouer France-Irlande — et perdre, très probablement, vu ce qu’est devenu le foot français ? Ou que la triche n’a plus de raisons de se cacher — elle est institutionnalisée… Oh la jolie cour de récréation que voilà — et la jolie classe…

Diego Maradona s’était discrédité à tout jamais avec sa « main de Dieu » — si Dieu sert à ça, on doit pouvoir s’en passer. Qu’est-ce qui a manqué à Thierry Henry pour aller voir l’arbitre et lui dire que non, on ne gagne pas sur une faute ? Un peu de courage ? Un peu de classe ?

« Mais ce n’est pas du sport, c’est de la compétition, tous les coups sont permis… » « C’est cela que vous enseignez à vos élèves ? Ça ne m’étonne plus que vous ne leur fassiez plus apprendre La Fontaine — parce que justement, on y apprend que « raison du plus fort » est un oxymore… Oh, vous pouvez toujours insister sur les cours — désormais bien inutiles — d’Instruction civique : nous savons désormais que la force prime le droit, et que le joueur de foot est un loup pour l’homme. »

Un pays qui ne demande pas, officiellement, qu’un match gagné par de la triche soit rejoué est un pays malade. Un pays qui donne en exemple à sa jeunesse des milliardaires voleurs et menteurs (pléonasme, décidément) est un pays malade. Un pays qui n’est même plus capable de faire comprendre à ses écoliers que le « beau jeu » ne se résume pas à la « gagne » est un pays malade. Un pays qui transforme « Que le meilleur gagne » en « Que le plus tricheur gagne » est un pays malade…

D’aucuns nous suggèrent de nous inspirer du modèle pédagogique scandinave. Eh bien, c’est un autre Scandinave qui peut encore donner des leçons.

En demi-finale de Rolland-Garros en 1982, sur une balle de match en sa faveur, Mats Wilander a rendu deux balles à son adversaire, José-Luis Clerc, parce qu’il avait bien vu, lui, que le coup de son adversaire était dans le terrain. Ou, mieux encore, qu’il y avait une place légitime pour le doute — en ces temps où les ralentis et les calculs électroniques de trajectoires n’existaient pas. Alors même que l’arbitre avait annoncé « Jeu, set et match Wilander » (4).

Evidemment, c’était du tennis — pas du foot. Et en 1982 — autant dire avant le Déluge. « Fabuleux ! » dit le commentateur de l’époque… Aujourd’hui, ce ne serait plus de la fable — mais de la bêtise.

Source : Jean-Paul Brighelli

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