" Vous y trouverez dans le vestibule la grande chèvre de Picasso. Quelle rencontre, quel tête-à-tête ! Saluez, dites : "Bonjour, Madame !" et regardez-vous dans le blanc des yeux. Vous vous en souviendrez longtemps et vous en parlerez en famille. Elle a un mètre vingt de haut, autant de long, et pèse cent cinquante kilos. Ce n'est plus une chèvre, c'est la chèvre, ce monstre fantastique, cette sauterelle de cauchemar, ce quadrupède délirant qu'est la chèvre, bref cet animal inconnu. Picasso, de toutes les chèvres, a dégagé l'essence merveilleuse et grotesque, la quiddité ; il en a fait un sac de fonte, un sac de coke, un sac de personne ne sait quoi, avec des pis en acier lisse ; il y a ajouté des côtelettes innombrables, qui sortent de partout, comme un buisson d'épines et qui font penser au boucher, un cou pelé, un cou de vautour, une tête tondue, une tête de rêve, de brontosaure, des cornes mal définies, dont une cassée, et le bouc du bouc, en virgule, le bouc de M. Ramadier. C'est à la fois de la mère et de la viande, de la nourrice et de la préhistoire, de la hotte de chiffonnier et de la paléontologie ; un mélange de grumeleux, de lisse, de fini, de pas fini, qui en font une chose étonnante et vraiment semblable à elle-même, si géniale et si monstrueuse qu'on la prendrait pour Philippe Kaeppelin. A la fois la vraie mère du chèvreton d'Auvergne et la grand-mère de Belzébuth. D'ailleurs la chèvre est toujours satanique. C'est du mystère nègre et du diable d'Afrique, du masque de sorcier zoulou."
Alexandre Vialatte, chronique 5 du 15 janvier 1983
Pour voir cette chèvre :
Quiddité
Quidittés est le titre d'un livre de Quine
Paul Ramadier
Je me souviens des chansonniers au sujet de la vignette auto (n'oubliez pas de la mettre sur votre pare-brise si vous avez une automobile) !introduite en
1956 par Ramadier
Philippe Kaeppelin
Il rencontre
Alexandre Vialatte en 1945 en
Allemagne8, lors de la fin de la
Seconde Guerre mondiale,
où tous deux y étaient correspondants de guerre. Cette amitié durera
jusqu'au décès de Vialatte en 1971. Leur correspondance sera en partie
éditée, et
Alexandre Vialatte,
dans ses chroniques journalistiques, évoque à plusieurs reprises le
travail de son ami Kaeppelin. Il l'évoquera aussi, accompagné de ses
sculptures, lors de son passage en 1969 à la télévision, durant
l'émission de
Remo Forlani L’Invité du dimanche.
Leur amitié déborde sur le travail de Kaeppelin, puisque pour ses
œuvres sculptées d'animaux, ses bestiaires, Vialatte invente des noms
pour ces animaux fantaisistes
8,
et ensemble, à partir de ces noms, en font ensuite des sortes de
définitions cocasses. Ce travail croisé sur les bestiaires de Kaeppelin
seront édités par deux fois : en 1969, avec une préface de Vialatte, et
en 1983. Ces bestiaires seront aussi exposés à diverses reprises.
Dans
Bestiaire de Philippe Kaeppelin,
Alexandre Vialatte écrit :
« Kaeppelin est sculpteur jusqu’à l’os. Il n’imagine que par volumes.
Il ne voit jamais qu’avec ses doigts. Il refait la réalité… La réalité
frappe son regard, puis sort de ses doigts, réinventée comme une
plaisanterie monstrueuse. Ironique, caricaturale, bougonne, cocasse et
tourmentée. C’est pourtant elle, à n’en pas douter. Poétique, lyrique,
compliquée : simplifiée en même temps. Synthétique et charmante. Elle
tient du cauchemar, de
Daumier, de l’humour noir, et du rire d’enfant. »
Philippe Kaeppelin réalise une sculpture de la tête de Vialatte, en son hommage
9 : elle est exposée en extérieur, près de la gare d'
Ambert (
Puy-de-Dôme), où a vécu l'écrivain, et où il est inhumé.
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