lundi 15 février 2016

Michel Houellebecq nous parle des informaticiens

Avertissement :
J'ai utilisé l'étude suivante pour faire un copier-coller des citations.

http://www.s398759860.onlinehome.fr/sources/textes/texte_integral_comedie.htm


« Analyste-programmeur dans une société de services en informatique, mon salaire net atteint 2,5 fois le SMIC ; c'est déjà un joli pouvoir d'achat. »

« Ce fut le moment que choisit le théoricien pour me glisser que Lindon appartenait quand même à une autre génération de l'informatique. Il programmait sans réelle méthode, un peu à l'intuition ; il avait toujours eu du mal à s'adapter aux principes de l'analyse fonctionnelle ; les concepts de la méthode Merise étaient dans une large mesure restés pour lui lettre morte. Tous les programmes dont il était l'auteur avaient dû en fait être réécrits ; depuis deux ans on ne lui donnait plus grand-chose à faire, il était plus ou moins sur la touche. Ses qualités personnelles, ajouta-t-il avec chaleur, n'étaient nullement en cause. Simplement les choses évoluent, c'est normal. »

« Dans l'après-midi, je devais voir le chef du service " études informatiques ". Je ne sais vraiment pas pourquoi. Moi, en tout cas, je n'avais rien à lui dire.

J'ai attendu pendant une heure et demie dans un bureau vide, légèrement obscur. Je n'avais pas vraiment envie d'allumer, en partie par peur de signaler ma présence.

Avant de m'installer dans ce bureau, on m'avait remis un volumineux rapport intitulé Schéma directeur du plan informatique du ministère de l'Agriculture. Là non plus, je ne vois pas pourquoi. Ce document ne me concernait en rien. Il était consacré, si j'en crois l'introduction, à un " essai de prédéfinition de différents scenarii archétypaux, conçus dans une démarche cible - objectif ". Les objectifs, eux-mêmes " justifiables d'une analyse plus fine en termes de souhaitabilité ", étaient par exemple l'orientation de la politique d'aide aux agriculteurs, le développement d'un secteur para-agricole plus compétitif au niveau européen, le redressement de la balance commerciale dans le domaine des produits frais... Je feuilletai rapidement l'ouvrage, soulignant au crayon les phrases amusantes. Par exemple : " Le niveau stratégique consiste en la réalisation d'un système d'informations global construit par l'intégration de sous-systèmes hétérogènes distribués. " Ou bien : " Il apparaît urgent de valider un modèle relationnel canonique dans une dynamique organisationnelle débouchant à moyen terme sur une database orientée objet. " Enfin une secrétaire vint me prévenir que la réunion se prolongeait, et qu'il serait malheureusement impossible à son chef de me recevoir aujourd'hui.

Eh bien je suis reparti chez moi. Moi, du moment qu'on me paye, ha ha ha !..."

« Le second représentant du ministère est un homme d'âge moyen, avec un collier de barbe, comme les précepteurs sévères du Club des Cinq. Il semble exercer un grand ascendant sur Catherine Lechardoy, qui est assise à ses côtés. C'est un théoricien. Toutes ses interventions seront autant de rappels à l'ordre concernant l'importance de la méthodologie et, plus généralement, d'une réflexion préalable à l'action. En l'occurrence je ne vois pas pourquoi : le logiciel est déjà acheté, il n'y a plus besoin de réfléchir, mais je m'abstiens de le dire. Je sens immédiatement qu'il ne m'aime pas. Comment gagner son amour ? Je décide qu'à plusieurs reprises dans la matinée j'appuierai ses interventions avec une expression d'admiration un peu bête, comme s'il venait soudain de me révéler d'étonnantes perspectives, pleines de sagesse et d'ampleur. Il devrait normalement en conclure que je suis un garçon plein de bonne volonté, prêt à m'engager sous ses ordres dans la direction juste. »

« Il porte un splendide costume aux motifs rouges, jaunes et verts - on dirait un peu une tapisserie du Moyen Age. Il a aussi une pochette qui dépasse de sa veste, plutôt dans le style " voyage sur la planète Mars ", et une cravate assortie. Tout son habillement évoque le personnage du cadre commercial hyper-dynamique, ne manquant pas d'humour. Quant à moi je suis vêtu d'une parka matelassée et d'un gros pull style " week-end aux Hébrides ". J'imagine que dans le jeu de rôles qui est en train de se mettre en place je représenterai l'" homme système ", le technicien compétent mais un peu bourru, n'ayant pas le temps de s'occuper de son habillement, et foncièrement incapable de dialoguer avec l'utilisateur. Ça me convient parfaitement. Il a raison, nous formons une bonne équipe. »« Il porte un splendide costume aux motifs rouges, jaunes et verts - on dirait un peu une tapisserie du Moyen Age. Il a aussi une pochette qui dépasse de sa veste, plutôt dans le style " voyage sur la planète Mars ", et une cravate assortie. Tout son habillement évoque le personnage du cadre commercial hyper-dynamique, ne manquant pas d'humour. Quant à moi je suis vêtu d'une parka matelassée et d'un gros pull style " week-end aux Hébrides ". J'imagine que dans le jeu de rôles qui est en train de se mettre en place je représenterai l'" homme système ", le technicien compétent mais un peu bourru, n'ayant pas le temps de s'occuper de son habillement, et foncièrement incapable de dialoguer avec l'utilisateur. Ça me convient parfaitement. Il a raison, nous formons une bonne équipe. »

« Le quatrième représentant du ministère est une espèce de caricature du socialiste agricole : il porte des bottes et une parka, comme s'il revenait d'une expédition sur le terrain ; il a une grosse barbe et fume la pipe ; je n'aimerais pas être son fils. Devant lui sur la table il a ostensiblement posé un livre intitulé : La Fromagerie devant les techniques nouvelles. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il fait là, il ne connaît manifestement rien au sujet traité ; peut-être est-il un représentant de la base. Quoi qu'il en soit il semble s'être donné pour objectif de tendre l'atmosphère et de provoquer un conflit au moyen de remarques répétitives sur " l'inutilité de ces réunions qui n'aboutissent jamais à rien ", ou bien sur " ces logiciels choisis dans un bureau du ministère et qui ne correspondent jamais aux besoins réels des gars, sur le terrain. »


« Moi-même, j’étais absolument incompétent dans le domaine de la production industrielle. J’étais parfaitement adapté à l’âge de l’informatique, c’est-à-dire à rien. Valérie et Jean-Yves, comme moi, ne savaient utiliser que de l’information et des capitaux, ils les utilisaient de manière intelligente et compétitive, alors que je le faisais de manière plus routinière et fonctionnarisée. Mais aucun de nous trois, ni aucune personne que je connaisse, n’aurait été capable, en cas par exemple de blocus par une puissance étrangère, d’assurer un redémarrage de la production industrielle. Nous n’avions aucune notion sur la fonderie des métaux, l’usinage des pièces, le thermoformage des matières plastiques. Sans même parler d’objets plus récents, comme les fibres optiques ou les microprocesseurs. Nous vivions dans un monde composé d’objets dont la fabrication, les conditions de possibilité, le mode d’être nous étaient absolument étrangers. »

« L'espèce des penseurs de l'informatique, à laquelle appartenait Jean-Yves Fréhaut, est moins rare qu'on pourrait le croire. Dans chaque entreprise de taille moyenne on peut en trouver un, rarement deux. En outre la plupart des gens admettent vaguement que toute relation, en particulier toute relation humaine, se réduit à un échange d'information (si bien entendu on inclut dans le concept d'information les messages à caractère non neutre, c'est-à-dire gratifiant ou pénalisant). Dans ces conditions, un penseur de l'informatique aura tôt fait de se transformer en penseur de l'évolution sociale. Son discours sera souvent brillant, et de ce fait convaincant ; la dimension affective pourra même y être intégrée. »

« Nous étions je me souviens assis près de l'unité centrale. La climatisation émettait un léger bourdonnement. Il comparait en quelque sorte la société à un cerveau, et les individus à autant de cellules cérébrales, pour lesquelles il est en effet souhaitable d'établir un maximum d'interconnexions. Mais l'analogie s'arrêtait là. Car c'était un libéral, et il n'était guère partisan de ce qui est si nécessaire dans le cerveau : un projet d'unification.

Sa propre vie, je devais l'apprendre par la suite, était extrêmement fonctionnelle. Il habitait un studio dans le 15e arrondissement. Le chauffage était compris dans les charges. Il ne faisait guère qu'y dormir, car il travaillait en fait beaucoup - et souvent, en dehors des heures de travail, il lisait Micro-Systèmes. Les fameux degrés de liberté se résumaient, en ce qui le concerne, à choisir son dîner par Minitel (il était abonné à ce service, nouveau à l'époque, qui assurait une livraison de plats chauds à une heure extrêmement précise, et dans un délai relativement bref).

J’étais parfaitement adapté à l’âge de l’informatique, c’est-à-dire à rien.  Plateforme, p. 234


Tout mon travail d’informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n’a aucun sens. Ce monde a besoin de tout, sauf d’informations supplémentaires. Extension, p. 82

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