http://lefenetrou.blogspot.fr/2007/05/la-2cv-familiale.html
Nous avons eu en 1955 une 2CV en
faisant jouer le fait que ma mère était sage-femme. A
l'époque il y avait une longue attente, de plusieurs années.
Et une seule couleur. Les médecins avaient une 2CV avant les
autres. Je me souviens de l'arrivée de la 2CV devant la maison
en 1955. Elle a eu un gros succès. Rappelons quel était
le cahier des charges du projet « TPV »
(« toute petite voiture ») qui donna naissance
à la 2CV : « avec quatre places assises, 50 kg
de bagages transportables, 2CV fiscaux, traction avant, 60 km/h
en vitesse de pointe, boîte à trois vitesses, facile
d'entretien, possédant une suspension permettant de traverser
un champ labouré avec un panier d'œufs sans en casser un
seul, et ne consommant que 3 litres aux 100 kilomètres.
Elle doit pouvoir être conduite en sabot, par un débutant
ou une femme. Et surtout, aucun signe ostentatoire : « 4
roues sous 1 parapluie ». C'était une AZ de 425
cm3. Extérieurement elle se distinguait du modèle de
l'année précédente par ses deux feux arrières
à la place de l'unique, placé entre les deux
demi-plaques. Seul celui de gauche assurait la signalisation du
freinage. Mon père avait fait mettre un coffre, disant que la
toile ne résisterait pas aux bagages. Nous avons alors pu
partir en vacances en voiture. Mon père qui ne fermait pas le
magasin, nous amenait, restait deux ou trois jours, et repartait. Il
revenait pour le week-end du 15 août et revenait nous chercher
en fin de mois d'août. Ma mère a toujours pris le mois
d'août pour ses vacances. Je me souviens que nous sommes allés
voir passer le Tour de France dans les Landes. C'était la
première fois que je voyais ce Tour. Plus petit, je jouais
souvent au « Tour de France ». Il s'agissait,
dans le grand bac de sable du jardin du Moulinassou, de tracer des
routes et ensuite de faire avancer une bille d'une pichenette. La
position de la bille était occupée alors par un coureur
cycliste. Les jours de foire à Saint-Yrieix, on pouvait
acheter pour le prix du journal, un lot de revues dont des revues sur
le cyclisme qui était alors très important. Il est vrai
que tout le monde pratiquait le vélo. Dans les Landes il
faisait si chaud que le goudron coulait sur la route. La 2CV est
tombée en panne. Une durite sous le siège arrière
avait fendillé à la chaleur. Mon père a trouvé
la panne et ma mère a fourni de quoi réparer. Elle
avait un rouleau de scotch dans son sac. Nous n'avons eu droit qu'à
la queue de la caravane publicitaire. Et le peloton est passé
bien vite sur cette route toute droite. Nous avons visité les
villes environnantes de Saint-Yrieix, puis Rocamadour, Padirac,
Sarlat, la grotte de Lascaux (j'ai eu la chance de visiter
l'original), etc. Excideuil devenait proche. Nous n'allions plus
pique-niquer à vélo. Nous étions adhérents
de l'Automobile Club de France. Ma mère lui commandait des
informations touristiques, hôtelières, etc. Plus tard,
mon père a commandé un kit (ce sont les Anglais qui ont
introduit le concept dans le commerce) de transformation des sièges
en sièges couchette. Il a fallu scier les tubes des sièges,
ajouter des molettes, etc. Et ainsi nous avions l'équivalent
d'une tente pour deux. Mes parents avaient acheté une tente La
Hutte de deux places avec une partie pour la cuisine et un auvent. La
tente pliée était encombrante et lourde du fait de son
armature métallique. Avec les sièges transformables et
la tente, il y avait de quoi partir en vacances à quatre. On y
a installé sur la gouttière des portes cannes à
pèche et on pouvait y fixer une galerie. Les portes avant
s'ouvraient dans le mauvais sens, i.e. Que les charnières
étaient fixées à l'arrière de l'ouverture
et non à l'avant. Ce qui fait que si la porte s'ouvrait en
roulant, elle était projetée vers l'extérieur et
pouvait frapper un piéton, cycliste ou autre voiture. Tous
ceux qui ont eu une 2CV se souviennent que les vitres des portes
avant étaient en deux parties. La partie du haut était
articulée et se relevait. Elle était maintenue relevée
par un téton qui entrait dans une pièce en caoutchouc.
Au moindre choc sur la route, la vitre vous retombait sur le coude si
vous l'aviez passé par la vitre ouverte. Quand la voiture
était à l'arrêt, les essuie-glaces ne
fonctionnaient pas. Il fallait les tourner à la main avec une
molette qui se trouvait dans l'habitacle. Il n'y avait qu'un
rétroviseur, à l'intérieur. Il était tout
petit et n'avait pas d'entourage. Je me souviens que nous nous sommes
fait arrêter par la gendarmerie sur la route d'Excideuil et
qu'il nous a été dressé procès verbal car
un nouveau règlement exigeait que la glace soit entourée
d'une bande de protection contre les coupures. Mon père a
acheté un rouleau de scotch et a satisfait aux nouvelles
règles de sécurité. Quand nous avons acheté
le premier poste de radio à transistors (on appelait ces
postes des « transistors »), nous avons ajouté
une antenne à la 2CV. L'antenne était fixée sur
la gouttière. On avait de la peine à écouter la
radio du fait du bruit du moteur.
Nous avions un garage qui était
loué derrière la gendarmerie. A l'époque il
était impensable de laisser dormir une voiture dans la rue.
La 2CV AZ était équipée
de série d'un embrayage centrifuge qui permettait de ne pas
débrayer et de s'arrêter sans caler. En conséquence
elle n'avait pas de frein moteur. Et je me souviens d'une descente
difficile du col du Tourmalet. Et aussi de ma première leçon
de conduite.
Mon père me faisait conduire la
2CV. Je prenais le volant quand nous allions sur la Bassin d'Arcachon
en vacances. Je laissais le volant à mon père pour la
traversée des villes, Périgueux, Bordeaux et Arcachon.
Quand j'ai eu l'âge de passer le permis de conduire, je suis
allé voir l'auto-école qui se trouvait en face de la
mairie et j'ai demandé à ce qu'elle m'inscrive au
permis. Le moniteur m'a demandé de faire un essai. Je suis
monté dans sa Dauphine, j'ai démarré et j'ai
immédiatement calé. C'est que j'étais habitué
à l'embrayage centrifuge de la 2CV ! Quoi une voiture de luxe,
n'était pas pourvue de cette technique ! Et la Dauphine
n'était même pas décapotable ! Alors j'ai dû
prendre deux ou trois leçons et ai passé le permis que
j'ai eu du premier coup. Il m'a coûté moins cher que mon
solex.
La 2CV a ensuite été
remplacée par une R4 ou 4L Renault. A la fin de mes études
à Poitiers, j'ai récupéré la 2CV. Pour la
démarrer il me fallait faire toucher deux fils. Mon père
m'avait pourvu d'un engin simple pour ce faire : un morceau de bois
auquel était fixé un morceau de fil de fer. Il arrivait
que la pédale d'accélérateur se décroche.
Mais la 2CV était « conviviale ». On
pouvait la réparer. D'ailleurs elle était livrée
avec une trousse à outils : un tournevis, une clée
plate, une pompe à huile. Dans leur livre écrit suite à
leur tour du monde en 2CV, J.C. Baudot et Jacques Ségala (le
futur publicitaire, celui de « La force tranquille »
de la campagne électorale de Mitterrand) racontent qu'un
indien les a dépannés en plein désert en
remplaçant l'huile de leur boite de vitesses par une dizaine
de bananes soigneusement épluchées et glissées
une à une par le trou de remplissage. Je suis allé avec
elle au Centre d'Essais des Landes (CEL) et de là, un
dimanche, jusqu'à la frontière espagnole. Puis elle a
été stockée à Bourdoux. Je pensais qu'on
n'en fabriquerait plus et qu'il fallait donc la conserver. En fait la
fabrication a continué jusqu'en 1990. Quand j'ai eu un
camping-car, en fait un fourgon Peugeot J7 aménagé,
j'ai acheté une 2CV neuve comme voiture, nostalgique de la
vieille 2CV. Bien mal m'en a pris. Cette 2CV n'a jamais bien marché.
Elle n'était même pas rodée quand nous avons pris
des vacances en Corse. Et nous avons constaté que ses freins
déficients étaient fort dangereux. De plus elle ne
dépassait pas le 70 km/heure i.e. La vitesse maximale de notre
2CV de 1955. On s'en est séparé bien vite.
J'ai donné la vieille 2CV à
un informaticien de la région nantaise amateur de vieilles
voiture. Il est allé la chercher à Bourdoux en 2003 et
j'ai pu suivre son énorme travail. Elle n'avait pas tourné
depuis 1970. Elle avait 74000 km d'origine au compteur. Il a réussi
à reconstituer la 2CV dans son état initial. Il y avait
du travail. A Bourdoux les mulots avait mangé la bourre des
sièges, et la rouille avait fait son œuvre. Il m'a donné
des précisions sur cette 2CV. « D’après le
numéro de série elle date de septembre 1955 ce qui a
été confirmé lors du démontage du moteur
car il a les pistons plats, or les premiers pistons bombés
ont été montés en octobre 1955. La peinture de
la carrosserie est gris souris référence AC132. Les
roues jaunes claires AC123. La malle est de marque ROSSI. ».
En août 1955, la 2 CV AZ coûtait 362 400 francs, soit
3624 « nouveaux francs », soit en euros
552,48. Le SMIG horaire était alors de 126,00 francs,
soit 1, 26 nouveaux francs. Les convertisseurs Francs vers Euros ne
savent pas calculer. La conversion donne en fait 0,15244 euros et
quelques résidus. Il faut savoir que pour le calcul des
retraites, on applique un coefficient au salaire perçu. Ainsi
pour 1955, ce coefficient multiplicateur est de 35,182. La 2CV est
donc évaluée ainsi à 21094, 76 euros !
La 2 CV participe maintenant à
diverses rencontres nationales et internationales. Cet été
elle a participé à un spectacle son et lumière
dans un village de Loire-Atlantique (L'ancienne Loire Inférieure
!). Ce spectacle retrace la vie de la commune entre 1939 et 1970. La
sœur infirmière
de l’époque avait eu une 2cv
en 1955 pour faire sa tournée en campagne. J'en suis fort
content.