jeudi 24 novembre 2011

Le Japon de Nicolas Bouvier

Hoëbeke

Le Japon en 1964, peu d'années avant que je le visite. Il a dû bien changer !

" ... j'ai eu l'impression très pénible que l'Occidental était occupé en deux : la tête et le socle. Cette rupture se situe au niveau de la cravate, du collier de perles ou du Grand Cordon pour les têtes couronnées. Elle est gênante et particulière à notre civilisation. Un chien - même aussi dégénéré qu'un caniche - ou une impératrice chinoise en costume d'apparat ne sont pas séparés en deux par leur collier ou leur pectoral de jade : ils restent d'un seul jet ; alors que la duchesse d'Ascot ou Albert Enstein en pied m'apparaissent irrémédiablement comme des guillotinés recollés. Nous avons concentré toute l'expression et toute l'information - état d'esprit, santé, ambition, condition sociale - dans un visage qui, tiré à hue et à dia, n'est jamais en repos, tandis que notre corps, comme anesthésié, ne raconte presque rien. Devant certains portraits 1900, on reste convaincu que si le faux col n'était pas si raide, ces pesantes têtes à moustaches et à programmes feraient basculer le sujet en avant. Le grand âge atténue fort heureusement cette impression fâcheuse et cette disgrâce. Une érosion bien répartie rétablit l'unité perdue du corps et du visage, les yeux s'agrandissent en rentrant dans l'orbite et la peau se plaque à un crâne dont la structure donne aux vieillards de la terre entière le même air de sagacité et d'intelligence un peu diabolique. L'avenir du visage c'est le crâne : excellente façon de se retrouver d'accord. "

Nicolas Bouvier

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