Extrait de "De l'esprit de cour. La malédiction française"
de Dominique de Villepin, Librairie Académique Perrin, 2010. *** "Le paradoxe, qui trouve bien sûr son
expression la plus achevée sous le règne de Louis XIV, c'est que la cour de constitue en un lieu d'asservissement, de domestication de ces hommes qui ont souvent de grandes qualités, voire de grandes âmes. La cour est un instrument dans la main du roi, qui peut y jouer des divisions, des intérêts, et flatter, ou au contraire disgracier. La cour a donc pris une forme ambivalente, dont la classe politique et les fonctionnaires - hélas ! - restent encore profondément marqués de nos jours : l'esprit de sujétion cohabite avec l'idéal de service. Au bout d'un certain temps, l'idéal de service se corrompt dans la docilité. A tout le moins, les courtisans sont écartelés entre cette légitimité qu'ils accordent au bon plaisir du monarque (ou du Président de la République), et cet idéal de service qui les rassemble. L'idée, c'est que servir le monarque d'une part, se mettre en situation d'être servi par lui d'autre part, et enfin servir la France constituent une seule et même vocation. Or, rien n'est plus faux : il n'y a aucune place pour l'apparition d'un De Gaulle dans ce raisonnement. Lui a desservi ses intérêts personnels immédiats, a desservi le pouvoir qui s'établissait dans la défaite, et pourtant il a servi la France. L'apothéose actuelle de la corruption du devoir de service se cache dans la triste "obligation de réserve" que l'on tente d'imposer aux agents de l'Etat. Elle ira sans doute croissante, car il y a un besoin français d'un pouvoir fort, incontesté. Le pouvoir ressent donc cette nécessité de se renforcer, de se transcender en permanence pour se perpétuer, se relégitimer. Pour répondre à cette demande constante de notre peuple, l'Etat accroît ses pouvoirs, le roi accroît son pouvoir, et l'organisation de la cité tournera de plus en plus autour de lui au fil du temps. L'Etat veut tout le pouvoir, et il l'aime pour lui-même. La cour et ses ministres ont une passion du pouvoir. (...) Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment éviter que la cour, qui stérilise tout ce qui n'est pas elle, dont le génie étrange est d'ignorer ce qu'elle gouverne, se reconstitue dans les différentes enceintes du pouvoir, à Versailles aussi bien qu'à l'Elysée."
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