L'Académie des sciences et l'informatique

"Gilles Kahn, premier informaticien élu membre de l’Académie des sciences : Olivier Faugeras témoigne

J'ai rejoint Gilles Kahn en 1998 à l'Académie où il avait été élu l'année précédente. Nous étions tous deux membres de la section qui s'appelait à l'époque section de Mécanique, dans la première division. J'y retrouvais avec un très grand plaisir, outre Gilles lui-même, deux de mes anciens patrons, Jacques-Louis Lions et Pierre Faurre et nombre d'autres collègues dont certains sont devenus des amis.
Je m'aperçus très vite que la vie de cette section n'était pas rose tous les jours et que les tensions assez fortes qui existaient entre les représentants de la Mécanique, des Mathématiques Appliquées et de l'Informatique rendaient parfois l'atmosphère un peu pesante, notamment lorsqu'il s'agissait d'élire un nouveau membre ou d'attribuer un prix de l'Académie.
Force me fut de constater que pratiquement personne dans la section et au-delà à l'Académie ne savait très bien en quoi consistait la science Informatique. Gilles me raconta cette anecdote comme quoi quelques mois après son élection, fatigué de répondre à d'incessantes questions de chers Confrères sur l'art et la manière d'utiliser le courriel ou le traitement de texte, il avait demandé à l'un d'entre eux s'il aurait songé à s'adresser à un éminent spécialiste de Mécanique des Fluides pour lui demander des conseils pour résoudre ses problèmes de plomberie ! J'en ai beaucoup ri mais l'affaire est symptomatique du statut de notre discipline à l'Académie et plus généralement dans notre société.
Gilles y avait entrepris un gros travail d'éducation auprès de nos Confrères et Consoeurs en leur consacrant, comme il l'a fait à l'INRIA, une part importante de son temps pour leur parler et expliquer sa vision des liens étroits entre science et technologie. Plus largement, la conférence “Sciences et technologies de l'information et de la Communication” qu'il a donnée à l'Académie le 30 Mars 2004 a beaucoup contribué à diffuser une vision plus “noble”, et plus conforme à la réalité, des disciplines qui sont le coeur de la recherche à l'INRIA.
C'est en partie grâce à cet effort éducatif que nous réussîmes à faire élire d'autres collègues, Gérard Berry et Gérard Huet en 2002, Philippe Flajolet en 2003, François Baccelli en 2005, qui ont à leur tour contribué à mieux faire connaître et apprécier la science Informatique. C'est grâce à eux que nous pûmes changer le nom de notre section en celui des sciences mécaniques et informatiques, un seul mot ajouté, une science nouvelle sous la coupole, au prix de combien de discussions enflammées ?
Concernant François Baccelli, le jour de la réunion de la commission qui pouvait l'élire, Gilles est arrivé conduit par son chauffeur qui l'aidait à passer de la voiture au fauteuil roulant sur lequel il était déjà cloué. Nous constatons avec stupeur que la salle au rez-de-chaussée, et donc facilement accessible, que nous avions réservée était en fait occupée et que celle qui nous était attribuée se trouvait au troisième étage, en haut d'un escalier en colimaçon datant au mieux du dix huitième siècle dont les bâtiments du quai Conti ont le secret ! Contact pris avec l'administration nous apprenons qu'un changement de salle est totalement impossible pour cause de grande séance inter-académique le lendemain. Faisant preuve de courage et de détermination, en homme expérimenté qui sait que toutes les voix comptent, Gilles dit “on y va” ; c'est donc à hue et à dia que, poussé et tiré dans son fauteuil par quelques Confrères respectables, il finit par arriver dans la salle de l'élection. La suite nous la connaissons."

copie servile de http://www-sop.inria.fr/relation_ext/presse/lisa/LISAspecial.pdf

Gilles Kahn nous a fait l'honneur de donner le discours inaugural de la première conférence internationale sur la Méthode B à Nantes.