Une envie de revenir sur le plateau de l'Artense dans le Cantal, chez mon ami Claude à Jallendrieu. ... Je n'y suis pas revenu depuis son décès.
On va enfin aller visiter le pays de Georges Sand dans le nord du Limousin. Puis on ira à Aubusson. Souvenirs, souvenirs. Et d'Aubusson, le Cantal n'est pas loin....
https://www.persee.fr/docAsPDF/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2085.pdf
Communications
À propos de Frederick Wiseman
Mme Sophie Bruneau, Mme Sarah Sékaly
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Bruneau Sophie, Sékaly Sarah. À propos de Frederick Wiseman. In: Communications, 71, 2001. Le parti pris du document. pp.
225-232;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.2001.2085
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2085
Pardevant notaire.
" Marc-Antoine Roudil,' avec qui j'ai coréalisé Pardevant notaire, a des
racines auvergnates, dans le Cantal. Depuis longtemps, nous avions envie
de faire un film sur les paysans et les paysages du Cantal. C'est un lieu
que nous connaissons bien, mais avec lequel nous avons aussi une
certaine distance, puisque nous n'y vivons pas. Il nous fallait trouver un
point de vue... Un jour, à l'occasion d'une succession personnelle, Marc-Antoine, est allé chez le notaire. Il est revenu enthousiaste, nous nous
sommes dit : « C'est là que ça se passe. » Et, effectivement, nous avons
découvert un monde d'une grande richesse sur le plan humain.
Les
grands actes que l'on établit chez le notaire sont quasiment des rites de
passage : le contrat de mariage, l'achat d'une propriété, la transmission
et l'acquisition de biens sont autant d'étapes fondamentales dans la vie
de quelqu'un. Quand on mesure l'importance de la propriété privée dans
nos sociétés, c'est un lieu où il se passe des choses très intéressantes du
point de vue anthropologique. L'argent et la mort y sont toujours
étroitement liés.
Nous avons donc fait un « casting » de notaires dans la région et c'est
ainsi que nous avons rencontré Me Faucher-Garros, et là nous nous
sommes dit : « C'est lui ! » Nous avons eu parallèlement les autorisations par
le président de la Chambre des notaires du Cantal. Le notariat est un
métier que l'on exerce soit par tradition familiale, soit pour faire fortune.
Faucher-Garros exerce aussi ce métier par amour des relations humaines ;
il aime la négociation, on le sent dans le film, il veut aboutir, il ne supporte
pas l'échec (par exemple celui de la négociation Pallut/Barbat) . Nous
avions très peur de la place qu'il allait prendre dans le film car c'est
quelqu'un qui a du caractère. Un personnage — une notion importante
dans le documentaire - se définit au fur et à mesure du film.
Lui, c'était un personnage dès le départ. C'est quasiment un acteur du réel, qui porte
en lui une dramaturgie et qui tient son rôle dans l'histoire. Il fallait faire
attention, car nous ne voulions pas faire un film sur le métier de notaire ;
ce n'était pas un portrait de Faucher-Garros, c'était d'abord un moyen
de parler des gens de là-bas, de ceux qui sont en face de lui. Le notaire
est une sorte de chef d'orchestre.
Ce qui nous intéressait principalement, c'étaient les gestes et les
attitudes des clients. Par exemple, la façon dont Gauthier se tient pendant
la négociation de la vente de son terrain : il ne regarde pas Chanet, il
regarde de l'autre côté. Toutes les stratégies de la négociation passent par
des postures. Il se lève en disant : « Bon, vous voulez pas faire un geste,
Chanet ? Bon, ben je crois que je vais vous laisser, on va en terminer là. »
Mais il ne sort pas, il ne veut pas sortir, il veut aussi que l'affaire soit
conclue, mais il fait pression sur l'autre quasi physiquement, en prenant
sa casquette et en faisant semblant de partir. Toutes ces stratégies sont
formidables, il y a une grande sophistication dans la négociation. Les
expressions comme « Je veux bien le vendre, mais je ne veux pas le donner
quand même » ou « Faites-lui battre misère » sont très ancrées culturel-
lement. C'est une façon. de parler. C'est important de voir Pardevant
notaire sur grand écran. Je voudrais qu'il soit diffusé en salle parce qu'il
faut voir les détails, les mimiques, les petits mouvements des personnages,
es mâchouillis, etc. Un détail comme le bruit du stylo sur le papier crée
une tension dramatique. Faucher- Garros est à l'aise dans cette
dramaturgie. Son bureau est un lieu très théâtral, il fonctionne comme une
scène, avec un décor, du papier peint, du mobilier, des peintures... A la
différence de Wiseman, nous avions un preneur de son, une caméra sur
pied et une installation lumineuse exceptionnelle pour un film en cinéma
direct. Nous voulions une lumière assez chaude, nous avons donc changé
toutes les ampoules, et tous les néons de l'étude... Quand nous sommes
partis et que les secrétaires ont retrouvé leur éclairage habituel, elles n'y
voyaient plus clair.
Il y avait une certaine virginité de la caméra dans cet endroit. J'aime
cette notion de transparence qui est manifeste aussi chez Wiseman. Les
spectateurs étaient étonnés que l'on ne sente pas plus notre présence à
l'image... En fait, les clients arrivaient chez le notaire sans savoir quoi
que ce soit. Nous étions dans la salle d'attente et nous attendions le client,
comme le notaire dans son bureau. Il fallait rester très vigilants, même si
l'on attendait parfois très longtemps avant que quelqu'un arrive. Dans
ce petit bourg de province, les gens viennent souvent à l'improviste, parce
qu'ils se trouvent dans le coin. C'a été le cas pour Chanet et Gauthier, et
c'est finalement une des séquences principales du film. Wiseman m'a,évidemment, beaucoup appris pour ce qui concerne les problèmes
d'autorisation : après Titicut Follies, il a toujours demandé cette autorisation
par voie orale ; il l'enregistre et il fait des fiches. Le métier de notaire est
couvert par le secret professionnel, nous voulions donc nous protéger au
maximum. Nous avions rédigé un texte avec le sujet du film, le parcours
qu'il aurait ensuite, les conditions de diffusion, etc. Nous demandions
aux gens d'accepter tout cela et de signer. Nous avons eu très peu de
refus. Quand les gens entraient, j'avais une discussion avec eux et, comme
ils faisaient confiance à leur notaire, que leur notaire nous faisait
confiance, ils nous faisaient confiance aussi. Ils acceptaient et étaient
parfois honorés que l'on témoigne, via la caméra, de l'acte qu'ils allaient
faire chez le notaire. Gauthier, lui, ce qui l'intéressait, c'était son affaire.
Après la diffusion du film, quand des journalistes de La Montagne lui
ont demandé comment il faisait pour être si naturel, il a répondu : « Moi,
je vendais ma ferme, je ne la vendrai qu'une fois dans ma vie. » J'aime
beaucoup ce regard de Gauthier à la caméra, lorsque le notaire retourne
chercher Chanet dans le couloir. Pendant ce temps -là Gauthier nous
regarde, effectivement le regard va droit à l'image, mais il regarde au-
delà, il est ailleurs.
A travers ce qui a lieu chez le notaire, nous voulions parler du monde
paysan. Ici, c'est souvent la femme qui gère. La scène avec Barbât, à
propos de la donation-partage, en dit long sur le système patriarcal, qui est encore très ancré. Il dit qu'il n'y a que le fils qui est dans la branche ;
les filles sont dans la Poste ou... La transmission des biens dans le milieu
agricole se fait principalement du père au fils. On ne peut pas partager
la ferme, elle est, sinon, amenée à mourir. Le notaire dit qu'il faudra de
toute façon allotir les filles, le fils est censé les indemniser à une juste
part mais on va, en fait, diminuer l'évaluation des biens pour leur donner
le minimum, afin que le fils ne passe pas sa vie à les rembourser.
Évidemment, ce qui est drôle* chez les «Pallut, c'est que le mari est quasi
donné pour sourd ; c'est donc Mme Pallut qui parle pour lui. Dans le
champ-contrechamp, le notaire pose une question en regardant le mari
et, comme c'est elle qui répond, on voit son regard se tourner vers elle.
Comme il a un humour incisif, il lui dit : « Signez aussi, vous avez fait
l'interprète. » II touche dans le mille. Dans leur conversation
téléphonique, elle dit qu'elle ne peut rien décider seule, mais le notaire sait quels
peuvent être son rôle et son influence. En revanche, ce qu'elle n'avait pas
vu, c'est que son mari place sa fierté au-dessus de l'argent que peut lui
rapporter la vente de sa terre. Il préfère sauver la face, ne pas vendre et
mourir avec sa terre, qui, de toute façon, sera reléguée aux Barbât, pour
une somme encore plus modique que ce qu'ils lui ont proposé. Il gardera
sa terre jusqu'à sa mort, par fierté, c'est primordial.
Le tournage a duré entre six et huit semaines. L'essentiel du montage
s'est fait en quatre semaines. Les bonnes séquences se sont tout de suite
imposées. Mais il nous a fallu beaucoup travailler en amont ; nous avons
habité dans le Cantal, à une heure de route de Condat, et, entre deux
moments d'attente, nous en avons profité pour nous marier et faire une
donation entre époux. Nous avons créé des liens avec les personnes que
nous avons filmées. La plus belle projection a été la première, que l'on a
faite dans le village de Condat. Nous avions réquisitionné le gymnase et
fait appel à un projectionniste itinérant. La tenancière du café, à côté de
chez le notaire, nous disait : « Vous savez, ici, à part le foot... Vous risquez
de ne pas avoir beaucoup de monde, les gens ne bougent pas trop. » Nous
étions un peu inquiets. En fait, il n'y a pas eu assez de place, les gens
sont arrivés de tous les hameaux alentour. Depuis la Libération, , ils
n'avaient jamais vu autant de monde ! Nous avons dû rajouter des bancs,
le gymnase était comble. Le notaire faisait les cent pas, il était blême. Il
y avait tous les protagonistes • du film, les Barbât, les Pallut, Chanet,
Gauthier... C'était inespéré. Le maire n'arrivait plus à parler parce qu'il
n'avait jamais eu autant de gens devant lui. Ce qui était formidable, c'est
que les Pallut comme les Barbât avaient le sentiment d'avoir gagné. Nous
avons eu beaucoup de presse locale... Chanet et Gauthier sont devenus à
leur façon des héros locaux. "
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