"La stratégie visant à éradiquer le grec et le latin de l'école publique
entre aujourd'hui dans sa phase terminale, avec la suppression programmée
du Capes de lettres classiques, concours principal pourvoyeur des
professeurs de langues anciennes dans les collèges et lycées de France.
Membres du jury de ce défunt concours, nous avons devant nous ce qui
semble devoir être la dernière génération de professeurs de grec et de
latin.
Il y aura dès le mois de novembre un Capes de lettres classiques flambant
neuf, sans latin ni grec… Tout au plus, les candidats auront-ils à se
fendre de quelques bribes de versions. Fi des explications de Virgile,
Horace, Sénèque, Cicéron, Euripide, Eschyle, Platon… Place au contrôle de
l'éthique du fonctionnaire, et à l'épreuve-reine: le commentaire d'une
photocopie de manuels scolaires…
Aucune autre discipline n'a eu droit a un traitement aussi privilégié;
partout ailleurs, la réforme des concours a tout de même laissé debout
quelques épreuves qui permettent encore de vérifier la compétence des
candidats dans la discipline qu'ils s'apprêtent à enseigner ; partout…
sauf en langues anciennes. Aucune volonté politique établie, aucune
logique de rentabilité, aucun impératif économique… Une commission de
réforme des concours se réunit en petit comité; un Inspecteur général y
représente les lettres, négocie les nouvelles épreuves, sans latin ni grec
! Chagrin de notre Inspecteur : “Je fis ce que je pus pour vous pouvoir
défendre…” Le ministre valide, pas de risque de professeurs ou de gamins
dans la rue pour sauver Homère et Tacite, et d'un trait de plume des
disciplines entières disparaissent des écrans de contrôle, sans le début
du commencement d'une justification.
Un peu d'histoire : depuis trente ans, des “hommes de progrès”, plutôt
bien représentés au sein du Ministère, et de son Inspection générale des
lettres en particulier, luttent contre ces fléaux de l'élitisme, du
conservatisme, et de l'inutilité, que constitueraient le grec et le latin.
Aucune fracture droite/gauche à chercher : les pragmatiques comme les
révolutionnaires y trouvent leur compte.
Ils avaient d'abord voulu agir sur la demande (les élèves et leurs
familles), en proposant des horaires stimulants (latin pendant le
déjeuner, grec le mercredi après-midi), des innovations audacieuses
(seconde, première, et terminale regroupées en une seule classe), la
technique dite du “supermarket” (“Alors on vous propose la classe
sportive, ou la classe numérique, ou la classe européenne, ou la classe
musique, ou la classe d'excellence artistique, ou la classe sciences de
l'ingénieur, ou alors du latin…”)
Mais tous ces efforts se révélèrent peine perdue. Il restait à la rentrée
2009 un demi-million de petits néo-réactionnaires qui s'entêtaient à
vouloir étudier le grec et le latin dans les collèges et lycées de France.
Plus grave : dans un contexte où les supposées élites se détournent
massivement de l'étude des langues anciennes au profit d'options jugées
plus modernes (classe européenne, cinéma, chinois…), le grec et le latin
sont en train de devenir l'un des rares endroits où les élèves les plus
fragiles peuvent bénéficier de ce grand luxe dans l'école d'aujourd'hui:
du temps. Du temps pour comprendre l'orthographe des mots, la grammaire
d'une langue, l'évolution d'une écriture, du temps pour l'essentiel. La
diminution drastique des horaires de français dans le secondaire rend ces
matières indispensables, du moins pour ceux qui ne peuvent apprendre le
français là où on l'apprend désormais : non plus dans une classe, mais
dans sa famille. Dans cette étoffe d'incohérence que constitue une journée
de cours pour un lycéen d'aujourd'hui, le grec et le latin confèrent une
unité à cet ensemble, notamment pour ceux qui n'ont personne autour d'eux
pour les aider à s'orienter dans le dédale des filières et des options.
Pouvoir retrouver l'étymologie de tel nouveau terme scientifique, tel
symbole mathématique familier, tel mythe revu et corrigé par un auteur du
XXème, telle racine indo-européenne commune à l'allemand et à l'espagnol:
ou comment une journée de cours s'ordonne autour d'une langue ancienne.
Le grec et le latin, instruments de l'égalité des chances, vecteurs de
réussite scolaire pour les plus démunis ! Il fallait agir ! Supprimer les
élèves prendrait du temps, le plus simple est qu'ils n'aient plus de
professeurs. Cette décision devenait d'autant plus urgente que commence à
se dessiner aujourd'hui le bilan des “hommes de progrès” qui ont, depuis
quelques décennies, la haute main sur l'enseignement des lettres : un bac
français où a désormais cours la notion de “compréhension phonétique” de
la copie, des professeurs de langues vivantes, de sciences bloqués dans
leur progression par les lacunes abyssales des élèves en français, des
universités instituant un peu partout des modules de rattrapage accéléré
en grammaire et en orthographe pour les jeunes bacheliers, des élèves
incapables de trouver les mots, prisonniers de codes langagiers qui font
peut-être les délices des scénaristes et des publicitaires, mais s'avèrent
assez discriminants dans les entretiens d'embauche. Effectivement, mieux
vaut que les élèves n'entendent pas trop parler de l'Athènes antique, où
les hauts fonctionnaires étaient astreints à rendre compte de leur
gestion, au sortir de leur charge…
C'est dire la responsabilité qui échoira à ces derniers jeunes professeurs
de lettres classiques, qui, dans un mois à peine, seront projetés dans les
eaux troubles des classes de collèges, avec la lourde charge d'y faire
exister le grec et le latin. C'est là-bas plus qu'ailleurs que ces
matières devront apporter la preuve de leur légitimité et de leur
nécessité. Ils nous trouveront à leurs côtés dans cette entreprise.
Universitaires, formateurs, professeurs, c'est à ce combat-là que nous
allons désormais consacrer toutes nos forces, loin des jurys de concours
où nous laisserons à d'autres la délicate besogne d'abandonner l'étude des
“poètes impeccables”, pour le contrôle, plus inattendu, des “collègues
impeccables”.
Car nous sommes convaincus qu'il y a plus que jamais en France une demande
d'école, une demande d'exigence, d'ambition, et de dépaysement, et que le
grec et le latin sont les mieux placés pour y répondre. Dans un système
qui ne fait qu'accroître les inégalités entre les familles, où l'on
explique aux élèves boursiers “on va vous faire passer des concours
différents parce que vous êtes pauvres”, dans un système qui abandonne,
sans combattre, ses principes fondateurs aux établissements privés, nous
ne comptons pas vraiment abdiquer “l'honneur d'être une cible”.
"
Ce texte est paru dans L'Humanité le 20 juillet 2010.
J'entends bien ce discours. Je sais que je pouvais repérer les étudiants qui avaient fait du latin à leur attention au sens des mots. Mais étudier l'allemand et l'anglais par exemple peuvent aussi permettre de prêter attention à ce que l'on dit et écrit en français et les "effets de bord" comme disent les informaticiens sont sans doute plus importants qu'avec le latin.
Je lis dans le texte ci-dessus :
"Effectivement, mieux
vaut que les élèves n'entendent pas trop parler de l'Athènes antique, où
les hauts fonctionnaires étaient astreints à rendre compte de leur
gestion, au sortir de leur charge…"
Oui, oui mais quand on sait qu'une proportion non négligeable d'étudiants bacheliers sont incapables de situer chronologiquement Hitler, Napoléon, De Gaulle, Louis XIV...
Je sais bien que si on n'enseigne plus le latin, on aura des profs de français qui ...
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