De notre correspondant, envoyé spécial dans les livres dont on ne vous parle pas ailleurs qu'ici, le blog que vous consultez en vous levant et en vous couchant.
En cette semaine de la fête de l'Ascension du Seigneur, je vous propose la lecture d'un texte drôle et plein d'enseignement !
Extrait d'un ouvrage passionnant, que je suis en train de dévorer : Philippe MARTIN, "Le Théâtre divin. Une histoire de la messe, XVIe-XXe siècle, CNRS éditions, p. 267 et suivantes :
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"On a du mal à se l'imaginer, mais l'attention dévote, à la messe, a beaucoup de mal à s'imposer avant le début du XXe siècle. A telle enseigne que jusqu'au XIXe siècle inclus, la messe était souvent un véritable capharnaüm, théâtre de toutes les impiétés, et des exubérances. (...)
Marguerite de Navarre [la soeur de François Ier] y peint des femmes lisant leur courrier, et affirme même avoir vu une "dame" faire passer un jeune valet sous sa grande robe, et l'obliger à y rester durant toute la durée de l'office ! Encore plus surprenant, célébrant en Brie le 18 juin 1632, l'abbé Lejeune remarque un assistant sortir des rangs, prendre une arme pour tuer un aigle avant de se réinstaller parmi les fidèles. A Versailles, une nièce de Louis XV se fait administrer le clystère pendant la messe, interrompant à plusieurs reprises le Kyrie au cri de "Oh ! oh ! Monsieur le médecin !" Ailleurs, sont en cause des mères allaitant, lesquelles n'hésitent pas à montrer leurs seins à l'officiant, dans l'intention manifeste de lui faire perdre son latin. Dans la région de Rennes, un paysan vient assister à l'office avec sa vache, l'attachant au banc à côté de lui, de peur que celle-ci ne mette bas à l'heure des Vêpres, auxquelles il venait assister. Et que supposer après avoir lu les statuts synodaux de Saint-Malo de 1619 qui interdisent de commettre des homicides pendant l'office, dans l'enceinte de l'église, de s'y livrer à des "copulations charnelles" ou à des "effusions volontaires de semence humaine". Au chapitre de Strasbourg, un décret défend de "faire aller des grenouilles" dans le bénitier, de même que de tenter de faire chuter le prêtre pendant l'aspersion et la procession, "à l'aide d'ingénieux et
pernicieux mouvements du pied et des jambes".
(...) Dispersion et désordre caractérisent la messe antérieure au XXe siècle. En 1839, désabusé, un prêtre d'Agen observe que les fidèles vont à la messe "comme ils iraient à la foire ou au cabaret", sur le parvis, les gens "se battent" et "s'étripent", ils se disputent le meilleur morceau de pain béni ; à l'intérieur de la nef, l'office a commencé mais le brouhaha est général, et un marchand, assis au premier rang, en profite pour vendre des haricots.
(...) L'universalité de ces histoires est significative. Faire de la messe un théâtre social ne signifie pas pour autant que les laïcs sont de mauvais croyants. Tout au plus ne partagent-ils pas la définition du sacré du clergé d'alors. Les Français se sont appropriés l'espace rituel ; à ce titre, ils y projetent tout ce qui fait leur vie.
(...) Ce désordre général prend fin à partir du XIXe siècle, lorsque le pape se décide à placer un Suisse dans toutes les églises, armé d'une impressionnante hallebarde (...) Les clers, qui écrivirent l'Histoire de France, n'avaient plus qu'à nous faire croire qu'il en avait toujours été ainsi, et que la piété était un sentiment naturel à l'esprit français..."