lundi 17 septembre 2012

Comment on fabrique des consommateurs

Olivier REY, "Une Folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit",
Seuil, 2006, p. 271-273.



 " L’abandon de l’éducation traditionnelle, le démantèlement de
l’école « bourgeoise », la fin des humanités, l’enfant constructeur de ses
savoirs, étaient exactement ce qui convenait pour pérenniser la poussée
consumériste. [...] A cet égard, la culture classique représentait le plus
sûr obstacle à
un règne sans limite de la marchandise. [...] C’est pourquoi les détenteurs
du capital ont accueilli favorablement les réformes qui pouvaient
contribuer à sa marginalisation, et ont su mobiliser les masses pour
parvenir à ce but, en les persuadant que la culture, c’était l’ennui et
l’oppression, et en la remplaçant par l’industrie du divertissement, de
l’ "entertainment". Les thèses de l’enfant-citoyen et les méthodes
préconisées
par les sciences de l’éducation disposent on ne peut mieux à la
consommation. Partir de l’enfant, de ses préoccupations, de ses désirs :
une telle revendication libertaire installe un rapport de perpétuelle
soumission aux pulsions – « l’impulsion du seul appétit est esclavage »
disait Rousseau. Or, les pulsions, c’est précisément ce que le marché
sollicite par la publicité, et prétend satisfaire par ses produits :
l’homme pulsionnel promu par les nouveaux pédagogues favorise le règne de
la marchandise. Un exemple, entre mille, de la merveilleuse harmonie entre
l’éducation telle qu’elle est préconisée et mise en œuvre, et l’insertion
dans le monde marchand : la multiplication des exercices « à trous », des
questionnaires à choix multiples où il faut cocher des cases, cliquer sur
oui ou non, laissant seulement des manques à combler, des « arbitrages » à
effectuer, comme tout consommateur averti doit savoir les réaliser. Le
modèle de liberté ainsi promu est le choix entre différentes marques, ces
marques qui, dans le désert symbolique propagé par une éducation récusant
toute hiérarchie des valeurs parce que celle-ci serait infondée, s’imposent
comme les seuls repères disponibles. Au point que les velléités
d’opposition à l’ordre établi en passent, chez les jeunes – et pas
seulement chez eux -, par des préférences de consommation et l’adoption de
certaines marques, les attitudes rebelles nourrissant une industrie des
signes de la rébellion et s’épuisant en elle. "

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