"Marie, qui était sans doute remariée - car Joseph est mort assez jeune -
était à la tête d'une famille assez nombreuse, et a toujours assumé le
rôle de chef de famille. Jésus avait des frères et des sœurs, dont il
semble avoir été l'aîné. Tous sont restés obscurs, à l'exception de
Jacques, parmi les quatre personnes que les Évangiles présentent comme ses
frères. Marie avait une sœur, nommée elle-même Marie, qui épousa un
certain Alphée ou Cléophas (ces deux noms paraissent désigner la même
personne), et fut mère de plusieurs fils qui jouèrent un rôle considérable
parmi les premiers disciples de Jésus. Ses cousins germains, en effet,
adhèrent à la doctrine du jeune maître, alors que ses vrais frères lui
faisaient de l'opposition (voir Jean, VII). Les vrais frères de Jésus,
ainsi que sa mère Marie, n'eurent d'ailleurs de notoriété qu'après sa
mort, ils n'égalaient pas en considération leurs cousins, dont la
conversion avait été plus spontanée. Quant aux sœurs de Jésus, elles se
marièrent toutes à Nazareth.
[...] Tout porte à croire que la famille de Jésus ne l'a pas beaucoup
aimé, et par moment on le trouve dur pour elle [...] on aurait tort de
s'imaginer, pourtant, que son éducation fut négligée. Il n'est pas
probable que Jésus ait su le grec (à Jérusalem, le grec n'était que très
peu enseigné, et les études grecques étaient considérées comme dangereuses
pour la foi), mais il parlait le dialecte syriaque mêlé d'hébreu, et sans
doute un peu le latin, grâce au contact avec les légionnaires romains en
garnison. [...] Heureusement pour lui, il n'étudia pas la scolastique
bizarre qui s'enseignait à Jérusalem et qui devait bientôt constituer le
Talmud. [...] Jésus exerçait le métier de son défunt père : il était
charpentier. Ce n'est en rien une situation humiliante ou fâcheuse. La
coutume juive exigeait que l'homme voué aux travaux intellectuels apprît
un état. Les docteurs les plus éminents avaient tous des métiers, c'est
ainsi que le grand saint Paul, dont l'éducation avait été si raffinée,
était fabricant de tentes (ou tapissier, selon la traduction que l'on fait
de l'hébreu). Jésus ne se maria point, malgré un indéniable succès auprès
des femmes, que sa nature douce et son physique avenant ne laissaient pas
indifférentes... quoi qu'il en soit, il eut le bonheur d'être sans aucun
doute plus aimé qu'il n'aima lui-même."
Ernest Renan (Professeur d'hébreu biblique au Collège de France), "Vie de
Jésus" (1863), éd. Folio Classique.